Entre les manifestations nantaises et les bouleversements politiques en Ukraine, les journalistes ne savent plus où donner de la tête. Cependant, on peut se demander pourquoi les événements qui se déroulent au Venezuela semblent recueillir aussi peu d’attention de leur part…
Comme je l’ai noté il y a quelques jours, la situation vénézuélienne n’a pourtant rien de calme ou de rassurante, et géopolitiquement parlant, le pays ne peut pas être négligé tant ses réserves en ressources pétrolières sont grandes. Pourtant, si l’on s’en tient au traitement médiatique qui est réservé aux émeutes et très violentes manifestations qui secouent le pays actuellement, force est de conclure que tout ne va pas si mal.
Certes, il y a bien eu quelques échauffourées, certes l’intervention des forces de l’ordre aura entraîné quelques petits dommages collatéraux, certes le pays semble un peu mal enquillé. Mais il n’est qu’à lire les articles délicieusement pondérés du Monde ou de Libération pour écarter toute éventualité d’un pays au bord de la guerre civile : tout ceci est un petit mauvais moment à passer, voilà tout.
Ainsi, Le Monde titre-t-il sans trembler que « les deux camps mobilisent en masse mais dans le calme », calme qui a jusqu’à présent fait 10 morts et plusieurs dizaines de blessés (chiffre officiel, les chiffres officieux étant à la fois bien supérieurs et surtout à la solde de l’impérialisme américain ce qui les discrédite immédiatement). À l’aune de ce « calme »-là, on peut dire que le jour où les Vénézuéliens vont vraiment s’énerver, ça va faire dans l’humanisme à coup de gros calibres. En tout cas, pour les journalistes du quotidien national français pas du tout acquis à la cause chaviste et toujours aussi neutre politiquement, tout ceci serait simplement
la plus importante vague de contestation depuis (l’)élection (de Maduro) de justesse en avril
… Vague qui aurait été déclenchée par une tentative de viol d’une étudiante sur le campus à San Cristobal, oups, ça arrive allons allons, protestations qui auraient dérivé « des revendications sur l’insécurité » à « la critique plus générale de la situation du pays ».
Pour Libération, dont la qualité journalistique se mesure maintenant avec un microscope à effet tunnel (comme les nouveaux abonnements, du reste), on assiste aussi à des « contestations » (diable, que c’est bien trouvé – miracle de l’AFP et du copier-coller, la vraie valeur ajoutée du journalisme à la française), et puis le déploiement de parachutistes serait une conséquence de l’arrivée de paramilitaires colombiens, pas de quoi fouetter un petit félin sud-américain. Étonnement feutré (suivi d’une totale absence d’enquête) de nos journalistes en culotte courte lorsqu’ils nous apprennent que, je cite,
Dans les manifestations, il y a beaucoup de groupes armés qui ne semblent pas appartenir aux corps de sécurité de l’État.
Bah. Des citoyens vigilants qui organisent des petites patrouilles pour calmer les contestations un peu trop vigoureuses, il n’y a pas de raisons de vouloir y voir à mal. De toute façon, tout le monde sait que Maduro, le successeur du Cha’, est un Membre Officiel de La Ligue Du Bien Humaniste, et on le voit mal déclencher une répression sanglante ou laisser son pays à la solde de groupes armés plus ou moins anarchiques.
Pour Le Figaro, tentative amusante de faire croire à un journal de droite en France, la question vénézuélienne doit être bien piquante puisque sa rédaction a choisi d’aborder le sujet sous l’angle du pas d’angle du tout, cachons ça dans les brèves et les « flash-actu » rédigés un sandwich à la main, entre les fines analyses de Sotchi et les palpitantes resucées d’AFP sur l’Ukraine et les échauffourées nantaises.
Problème d’une source unique (AFP) et diablement pondérée, pour le dire gentiment ? Souci lié à une réduction drastique des effectifs de fin de semaine dans les rédactions des quotidiens nationaux ? Trop de stagiaires et pas assez de rédacteurs aguerris ? Volonté manifeste de conserver une saine distance aux événements, histoire de ne pas surjouer les problèmes vénézuéliens ? Détachement lié à l’éloignement du pays (après tout, Caracas, Maduro, l’Amérique du Sud, tout ça, c’est bien loin et il faut bien traiter les petits enquiquinements d’Ayrault Le Bâtisseur à Nantes, hein !) ?
Allez savoir. En tout cas, il semblerait que le pays soit en proie à une insécurité galopante, une inflation vitaminée, des pénuries grandioses et des troubles sociaux et économiques pétillants, bref toute la panoplie de ces lendemains qui chantent promis régulièrement aux citoyens trop heureux de voter pour le socialisme triomphant.
On ne peut tout de même pas s’empêcher de noter que tout ceci cadre assez mal avec la présentation du pays que les mêmes journalistes des mêmes organes de presse subventionnée nous ont fait les mois et les années précédentes. Oh, ne leur retirons pas le fait qu’ils ont bien relaté les petits soucis économiques du pays, mais à chaque fois, les euphémismes furent de sortie, les modérations habilement introduites et, pour le coup, toutes les avancées sociales entraînées par Chavez ne furent jamais oubliées. Tant lors de sa première élection, qui leur permit de dresser le portrait d’un populiste, certes, mais humaniste et décidé, que lors de sa réélection et de sa mort, il fut toujours présenté dans des demi-teintes appliquées avec une précision louable si elle était d’actualité pour tous les autres politiciens de tous les autres pays. Et on ne compte pas les billets plus ou moins enfiévrés de chavistas européens louangeant le nouveau révolutionnaire, dont les Libération, Rue89 et autre NouvelObs se firent les porte-voix joyeux.
Comme d’habitude cependant, le crépi de la réalité est venu frotter sur les fesses des socialistes et des communistes qui doivent maintenant composer avec le résultat sanglant. Pourtant, il était visible depuis longtemps que le pays courait à sa perte ; à la mort de Chavez, Contrepoints synthétisait fort bien l’état général du pays, son bilan économique désastreux, son bilan social très mitigé (les disparités sont toujours énormes), son inflation, ses pénuries multiples, et se posait déjà la question de savoir ce qu’il resterait des années Chavez devant un tel désastre. Et alors que les journaux français se lancent dans une tornade de copiers-collers vigoureux de nouvelles d’agences AFP insipides, c’est encore dans les médias non-subventionnés qu’on devra chercher pour trouver une analyse claire et sans concession de la situation, analyse qui laisse apparaître que la menace principale n’est pas l’opposition dont Maduro pourra toujours s’occuper en augmentant la répression et la violence, mais bien les forces militaires alliées au président de l’Assemblée Nationale, Diosdado Cabello, que le moindre signe de faiblesse de la part de l’actuel président pourraient amener à agir, et plonger ainsi durablement le pays dans une bonne vieille dictature communiste comme on en trouve encore quelques unes.
De façon ironique, Maduro s’était récemment déclaré solidaire de son homologue ukrainien, Viktor Ianoukovitch. La question est à présent de savoir jusqu’à quel point le président vénézuélien suivra les traces de l’Ukrainien.
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