Certains pensent qu’il est présomptueux de croire à une Providence particulière ou de se considérer comme un instrument entre les mains de Dieu. Mais je trouve que chaque homme a une Providence spéciale et je vois que Dieu manie la pioche de l’ouvrier et babille dans le petit enfant.
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La Providence n’est pas seulement ce qui me sauve du naufrage quand tous les autres ont péri. La Providence est aussi ce qui m’arrache ma dernière planche de salut, tandis que tous les autres sont sauvés, et me noie dans l’océan désert.
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La joie de la victoire est quelquefois moindre que l’attraction de la lutte et de la souffrance ; pourtant, le laurier et non la croix doit être le but de l’âme conquérante.
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Les âmes qui n’aspirent pas sont les échecs de Dieu, mais la Nature est satisfaite et aime à les multiplier, parce qu’elles assurent sa stabilité et prolongent son empire.
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Ceux qui sont pauvres, ignorants, mal nés et mal éduqués ne sont pas le troupeau vulgaire. Le vulgaire comprend tous ceux qui sont satisfaits de la petitesse et de l’humanité moyenne.
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Aide les hommes, mais n’appauvris pas leur énergie. Dirige et instruis-les, mais aie soin de laisser intactes leur initiative et leur originalité. Prends les autres en toi-même, mais donne-leur en retour la pleine divinité de leur nature. Celui qui peut agir ainsi est le guide et le gourou. Dieu a fait du monde un champ de bataille et l’a rempli du piétinement des combattants et des cris d’un grand conflit et d’une grande lutte. Voudrais-tu dérober sa paix sans payer le prix qu’il a fixé ?
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Méfie-toi d’un succès apparemment parfait ; mais quand, après avoir réussi, tu trouves encore beaucoup à faire, réjouis-toi et va de l’avant, car le labeur est long jusqu’à la réelle perfection.
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Il n’y a pas d’erreur plus engourdissante que de prendre une étape pour le but ou de s’attarder trop longtemps à une halte.
Sri Aurobindo (1914 ou avant ?)
Traduction de La Mère.
Extraites de : Aperçus et Pensées, Pondichéry, 1956, p. 13 à 17.