Les 70 ans de "l'Affiche Rouge" à l’école...
C'est aujourd'hui le 70ème anniversaire de l'exécution par les nazis des 22 résistants, fusillés le 21 février 1944 au Mont Valérien. Ils seront pris en exemple sur l’Affiche rouge, une affiche de propagande allemande placardée à Paris au printemps 1944, pendant l’occupation nazie. Elle fut tirée à 15 000 exemplaires.
Cette affiche est composée en haut d'un texte à la forme interrogative et d'un texte en bas en guise de réponse : au centre... dix photos, dix hommes avec pour légende leur nationalité et pour certains d'entre eux, leur appartenance ethnique ; tous font partie d'un groupe de Résistance appelé " Manouchian ", du nom de leur chef : Missak Manouchian. Ce groupe comprend des FTP (Francs Tireurs et Partisans) ainsi que des MOI (Main-d'Oeuvre Immigrée).
Les groupes de FTP-MOI sont créés en région parisienne, en même temps que les FTP, en 1941. Ces groupes sont constitués par les membres de la Main-d'œuvre immigrée : des étrangers communistes vivant en France et ne faisant pas partie du PCF sont mis en place en avril - mai 1942.
Les FTP-MOI sont particulièrement connus à travers les épisodes du procès de 23 membres du groupe de Missak Manouchian et de l'Affiche rouge. Le procès se déroule devant le tribunal militaire allemand du Grand-Paris, réuni à l'hôtel Continental à partir du 15 février 1944, dure entre deux et quatre jours, et après une délibération de trente-cinq minutes, s'achève par le verdict suivant:
- 23 accusés sont condamnés à mort : en l'absence de possibilité d'appel, 22 d'entre eux sont fusillés sans délai, le 21 février, au fort du Mont-Valérien ; l'exécution d'Olga Bancic est suspendue pour supplément d'enquête. Rejugée le 10 mai 1944 à Stuttgart, elle est de nouveau condamnée à mort et immédiatement exécutée par décapitation.
- 1 accusé, Migratrice, est transféré devant une juridiction française.
Or, à propos des 70 ans de cette Affiche Rouge... Benoit Rayski historien, écrivain et journaliste nous rapporte ceci : « Etant l'auteur d'un livre sur le sujet (l’Affiche rouge), j'étais invité pour en parler devant des élèves d'un lycée professionnel de Mantes-la-Jolie. Avant que je n'entre dans la classe, la prof m'a pris à part. "Je pense que ce serait mieux si vous vous absteniez de dire qu'ils étaient juifs. Vous pourriez vous contenter de dire qu'ils étaient immigrés et étrangers. Vous comprenez, avec la Palestine et tout ça…". J'ai tout de suite compris. Et avant qu'elle me suggère de dire que les combattants de la FTP-MOI étaient, comme ses élèves, "issus de la diversité", j'ai tourné les talons."
Il a tourné les talons.
C’est la politique de l’assiette vide : on vous convie autour d’une table, on vous promet un repas historique stimulant pour … in fine, vous affamer et vous laisser sur votre soif : soif d’héroïsme, soif de courage… soif de sacrifice, soif de figures tutélaires, soif d’Histoire peut-être aussi… à un âge où on regarde encore vers le haut à la recherche de quelque chose de plus grand que soi : l’adolescence. Car, ce n’est que plus tard, bien plus tard, que l’on baisse la tête, les yeux mi- clos, intéressé que par soi, soi et sa tribu seuls, soi et son petit confort, peinard et sans histoires.
Il a tourné les talons.
Monsieur Ravski, adulte, écrivain, historien et journaliste… (son cas s’aggrave !) n’a donc pas d’excuse.
Ce qu’on doit déplorer dans cette affaire qui n’en est pas une, et n’en sera aucune, c’est à espérer du moins, c’est que Monsieur Ravski ait été dans l’incapacité de communiquer autour de cette Affiche sans avoir à décliner le pedigree ethnique d’une partie des fusillés : une Affiche qui, soit dit en passant, mentionne dix fusillés sur 22, sélectionnés à dessein avec pour légende… justement, leur appartenance ethnique.
L’engagement de ces patriotes qui n’avaient pas la nationalité française (ils étaient espagnols, polonais, « arméniens », hongrois, roumains, italiens) ne suffit-il pas largement à expliquer et à justifier une intervention en milieu scolaire dans le cadre de l’enseignement de cette période historique : celle de la seconde guerre mondiale et de la résistance à l’occupation de la France ?
Monsieur Ravski a tourné les talons car une enseignante lui a déconseillé de dire au monde entier… à quel point une partie des 22 fusillés « morts pour la liberté et la France » étaient juifs ; et par voie de conséquence, à quel point il l’est aussi… juif, avec eux de toute éternité !
Soi, encore soi, toujours soi… on n’en sort pas… jamais… soi dans soi, soi pour soi… matin, midi et…… soi….r ! Péché d’orgueil ! Encore l’orgueil ! Mal placé au demeurant.
Les intentions de Monsieur Ravski n’étaient donc pas "pures" - ou désintéressées si l'on préfère -, car enfin, en quoi l’appartenance ethnique d’une partie des 22 fusillés nous renseigne sur ce qu’étaient les groupes de FTP-MOI ?
De plus : qui pouvait bien avoir besoin de savoir qu’une partie d’entre eux était juifs ?
Et puis enfin, et puis surtout : qui avait besoin de savoir qu’ils étaient bien plus juifs que polonais ou hongrois sinon les nazis, et ce à des fins de propagande antijuive ?
Eh oui, Monsieur Ravski ! C’était à ça qu’il fallait penser avant de tourner les talons ! Car, quitte à mentionner l’appartenance juive d’une partie des fusillés, c’était bien ça qu’il fallait surtout dénoncer à propos de cette affiche, Monsieur Ravski !
Manifestement, votre appartenance ethnique vous a aveuglé ; elle a fait que vous êtes passé à côté de l’essentiel !
Quant à cette enseignante... ses recommandations vous ont, à votre insu, forcé à prendre conscience aussi brutalement que soudainement, et alors que vous vous teniez sur le seuil de la porte de la classe, à deux pas de votre auditoire, que vous étiez sur le point de vous tromper d’Histoire : des juifs qui auraient été fusillés parce qu’ils étaient juifs ou bien encore : ils étaient résistants parce que juifs.
C’est la raison pour laquelle vous avez tourné les talons… dans un acte manqué d’une rare transparence et évidence.
Car dans le cas contraire, vous auriez fait face… en vous effaçant justement, avec pour seule motivation : apporter à ces lycéens de Mantes-la-Jolie ce dont ils pouvaient avoir besoin (et à ce sujet, leur enseignante a simplement cherché à vous guider dans votre démarche, et non... à vous dépouiller de votre appartenance ethnique) ... et ces ados auraient quitté leur classe grandis et exaltés parce que vous leur auriez alors compté l’histoire universelle de la résistance à l’oppression et à la barbarie ; résistance qui ne connaît pas de frontières ni d’apriori défavorables de classe ou d’ethnie… mais, à condition, bien évidemment qu’il soit question de célébrer avant toute autre préoccupation, le sacrifice d’une résistance farouche face à la menace de la mise en esclavage de l’espèce humaine ; et rien d’autre.
Car, ceux qui ont de bonnes raisons de craindre le froid, socialement délaissés et méprisés le plus souvent, reconnaissent au premier coup d’œil celui qui, des beaux quartiers, est venu tirer la couverture vers lui, une fois de plus, une fois encore.
Pour faire la leçon comme on fait la classe, il faut en avoir longtemps goûté toute l'amertume : celle de la vérité qu'on se doit à soi-même aussi cruelle et dérangeante soit-elle : c'est là son premier devoir.
Merci d'apprendre à recevoir avant d'avoir la prétention de donner.
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Léo Ferré... sur le poème d'Aragon "l'Affiche rouge" ; un Aragon qui nous parlera à propos des 22 fusillés... de patriotes, de résistants... de "morts pour la France".
Il se gardera bien de décliner les nationalités et le pedigree ethnique de ceux qui se sont battus...
Certes, n'est pas Aragon qui veut.
Allez Monsieur Rayski, encore un effort, vous y êtes presque !