Magazine Humeur

Liberté bien ordonnée commence quelque part

Publié le 22 février 2014 par Copeau @Contrepoints

La crise n’existe pas. La crise d’aujourd’hui n’en est pas une ; nous sommes au contraire dans la période de préparation de la crise de demain, où la bulle se forme et les réponses déployées à un problème mal compris se fondent sur des raisonnements erronés hier, dangereux aujourd’hui.

Pour favoriser l’innovation, on cherche à créer des écosystèmes, comme s’il suffisait d’un pot et un peu de terreau régulièrement arrosé et nourri d’engrais pour que de jeunes pousses se développent. Mais nos jeunes pousses ne se développeront jamais dans l’ombre des arbres d’hier, nos champions nationaux et nos monopoles agonisants. Ce n’est pas Orange qui fera pousser Dailymotion comme Dailymotion aurait dû pousser.

Posons nous donc la question : disposer d’une compagnie nationale des mines a-t-il du sens ? La France va-t-elle se découvrir champion de l’extraction alors qu’elle compte déjà plusieurs leaders mondiaux de l’énergie, notamment pétrolière, bénéficiant largement du soutien d’une « diplomatie économique » qui relève d’une coupable complicité ?

Prenons le temps d’une pause. Le colbertisme est-il vraiment la réponse aux enjeux d’aujourd’hui, où les entreprises recherchent une contribution nette négative et se relocalisent au gré des changements de fiscalité ? 77% des investissements étrangers en France ont disparu ou se sont déplacés vers d’autres pays moins belliqueux envers tout ce qui ne relève pas du contrôle direct par l’État.

Alors que M. Montebourg est interrogé sur ce « grand retour de l’Etat actionnaire » après l’annonce de l’entrée dans le capital de PSA, le ministre assure que « la stratégie du gouvernement est de considérer l’Etat comme un acteur intelligent de l’économie servant les intérêts de notre nation ». Et de conclure : « Le colbertisme est de retour et c’est un bien. »

Comment ne pas déplorer d’avance la faillite, l’échec du colbertisme nouveau, de la planification 2.0, de la centralisation à outrance ? Et surtout, comment ne pas se désoler de l’absence de réaction d’une presse toujours plus passive aux questions toujours moins pressantes ?

Pourquoi d’ailleurs la question de savoir si des « agents étrangers » agitent la révolte au Venezuela semble-t-elle plus importante que la situation locale ? Pourquoi aucun de nos « journalistes » ne se demande si le MEDEF et le gouvernement n’ont pas tous deux besoin de boucs émissaires pour justifier leur existence, au lieu de reprendre les déclarations mot pour mot ?

C’est encore une diversion : la question d’agents étrangers fait oublier la situation du Venezuela, celle du MEDEF éternel insatisfait la question du statut ruineux des intermittents. L’invasion extraterrestre, la dépénalisation du cannabis ou tout évènement ayant la bonne idée de se dérouler sera notre prochain sujet, alors que notre situation est toujours plus pressante : notre économie, vacillante, est au cœur d’une bulle sans précédent. Et nous créons une compagnie nationale des mines. Après, quoi ?

Après, nous entendrons des discours sur l’entreprise, l’éducation, l’attractivité du pays, la responsabilité de tous les acteurs économiques dans les succès – et les échecs – du gouvernement. Parce qu’on redresse un pays comme la trajectoire d’un avion, en tirant sur un manche pendant quarante ans.

Pendant ce temps, l’innovation continue de naître, parfois sans germer, alors qu’on favorise à coups de millions « investis » de la mauvaise graine. Les éoliennes et les panneaux solaires poussent un peu partout, tirés par des gouvernements qui se disent verts pour ne pas s’avouer rouges. L’environnement est notre responsabilité collective, comme l’économie est notre responsabilité collective ; les comportements individuels les font, mais on veut centraliser les décisions ; on centralise donc la décision des comportements individuels.

Ce gâchis gigantesque, ce retard que prend l’innovation comme hier on retardait la connaissance par le dogme, semble moins préoccupant que l’âge auquel nous prendrons notre retraite et les jours travaillés ou chômés. Et comme les décisions sont centralisées, chacun perd espoir de s’épanouir, comme dans un système éducatif qui cherche à formater de la même façon des individus par essence uniques aux besoins et aspirations différents.

Reprenons nos vies. L’essence de la vie, c’est le temps ; chaque minute est précieuse et n’appartient qu’à nous. Nous devons travailler plus pour que l’État puisse assouvir ses desseins, travailler dans des secteurs voués à l’extinction parce que l’État en a décidé ainsi, supporter la folie des grandeurs d’élus portés au pouvoir par la médiocrité qu’ils ont créée.

Ce ne sont pas que dans les administrations que nous perdons notre temps à cause de l’État. Nous travaillons la moitié du temps pour lui, que nous le voulions ou non. L’école de la République fait perdre un temps fou à tous ceux qui n’y auront jamais appris à apprendre, ni appris à comprendre, car ils n’auront appris qu’à savoir.

Nous manquons de sens critique. Nous manquons de la capacité à mettre en œuvre les actions que nous pensons risquées car le statu quo intenable dans lequel nous vivons nous semble moins risqué. On parle de 2017 comme si à la fois tout et rien allait se produire d’ici là. L’économie internationale peut péricliter à tout moment, les raisonnables maximisent leurs gains avant de les empocher, emportant avec eux des années de prospérité artificielle, et les fous s’imaginent que les arbres en plastique montent jusqu’au ciel. Personne ne s’intéresse au monde d’après, au monde de demain, à celui que nous faisons déjà arriver par notre inaction.

Nous serons ses fondateurs, que nous le voulions ou non. Nous sommes responsables du monde de demain, que nous pouvons abandonner par lâcheté à ceux qui ont contribué à creuser le monde d’aujourd’hui ou construire. Ce ne sont pas le pouvoir ou l’économie que nous leur laissons, ce sont nos vies. Nos vies privées, nos vies sentimentales, nos vies liées par les interactions et les échanges qui nous permettent de coopérer qu’on a laissé se transformer en chaînes.

Mettez des glands au pouvoir, il vous poussera des chaînes.

Soyons prêts pour le monde de demain. Sachons nous libérer, avant tout de nous-mêmes. Si nous nous concevons avant tout comme des individus, alors nous ne devons pas donner trop d’importance à l’influence du système ou du collectif sur nos vies. Nous devons nous libérer des autres, mais aussi de nous-mêmes.

Connais-toi toi-même, et souviens toi que tu n’es qu’un homme.

Comment craindre de partir quand on sait que le pire est de rester ? Pourquoi se complaire dans l’opposition, la contestation, et reprocher à tous de ne pas avoir de réel projet, quand on se refuse soi-même à reprendre en main nos vies, voire la société ?

Nous serions plus épanouis sans l’État, est-ce pour autant que nous ne pouvons pas le faire malgré lui ? Nous sommes encore les maîtres de nos vies, mais nous acceptons que le premier pouvoir venu nous convainque du contraire.

Les élus pensent être les seuls à présider aux destinées du pays, en compagnie de leurs alliés et favoris. Montrons leur le contraire ; montrons leur que la barre qu’ils tiennent entre les mains n’a aucune emprise sur le gouvernail quand le vent ne souffle pas et que, dans la cale, on refuse de ramer.

Les voiles déchirées de l’économie française ne seraient pas en état de capter le moindre vent, si celui-ci daignait souffler. Alors, ne ramons pas. Quittons le navire à la première escale, ou restons-y aussi immobiles que possible sans développer d’escarres. Si le navire coule, nous avons nos canots.

Reprenons nos libertés, en nous libérant d’abord nous-mêmes des liens qui nous enchaînent et en tissant ceux que nous aimons, que nous voulons, que nous créons. Revendiquons notre dû et refusons ce que nous devons. En avant !


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