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Journal d'un coeur sec de Mathieu Terence

Par Kojimaemi

9782859406325

L'histoire: Dix ans après le suicide de Dorian Gray, Lord Henry Wotton décide de coucher sur le papier ses sentiments d'homme vieillissant et blasé. Il y dévoile le souvenir du jeune homme qui le hante, parle de son nouveau protégé, raconte ses peurs et ses amours de jeunesse.

Ce court roman est une pure merveille! Parce que l'auteur a su brillamment se réapproprier l'esprit d'Oscar Wilde à travers l'un de ses personnages les plus emblématiques. Mais avant de vous parler du roman, je pense qu'il faut d'abord évoquer le Henry Wotton de Wilde. Harry pour les intimes, est le Méphistophélès de Dorian Gray. Il est celui qui va le pousser dans l'abîme du vice en le modelant à sa volonté, tel un Pygmalion de la débauche. Toujours à l'affut d'un bon mot, il multiplie les paradoxes et les traits d'esprits. Dorian Gray est celui qui donne corps à sa corruption, car jamais Lord Henry ne franchit la ligne de la dépravation. Il parle mais n'agit pas. Il influence sournoisement, il manipule... Je ne peux pas m'empêcher de citer le texte original, lorsque Wotton commence à convaincre Dorian que sa jeunesse et sa beauté sont ses seuls trésors:

"Un jour viendra, quand vous serez vieux, ridé, laid, quand la pensée aura marqué votre front de sa griffe, et la passion flétri vos lèvres de stigmates hideux, un jour viendra, dis-je, où vous vous en soucierez amèrement. Où que vous alliez actuellement, vous charmez. En sera-t-il toujours ainsi ? Vous avez une figure adorablement belle, M. Gray... Ne vous fâchez point, vous l'avez. Et la Beauté est une des formes du Génie, la plus haute même, car elle n'a pas besoin d'être expliquée ; c'est un des faits absolus du monde, comme le soleil, le printemps, ou le reflet dans les eaux sombres de cette coquille d'argent que nous appelons la lune ; cela ne peut être discuté ; c'est une souveraineté de droit divin, elle fait des princes de ceux qui la possèdent...vous souriez ?... Ah ! vous ne sourirez plus quand vous l'aurez perdue... On dit parfois que la beauté n'est que superficielle, cela peut être, mais tout au moins elle est moins superficielle que la Pensée. Pour moi, la Beauté est la merveille des merveilles. Il n'y a que les gens bornés qui ne jugent pas sur l'apparence. Le vrai mystère du monde est le visible, non l'invisible... "

Oscar Wilde prétend avoir mis tout son génie dans sa vie et seulement son talent dans ses oeuvres. Admettez qu'il y a quand même du travail pour lui arriver à la cheville. La démarche de Mathieu Terence est pourtant dénuée de toute prétention. Comme vous avez pu le constater, Henry est un personnage au moins aussi complexe que Dorian, si ce n'est plus et ce Journal d'un coeur sec offre un aperçu de son intériorité à la fois intéressant et intelligent. Les lignes attribuées au personnage principal sont tout aussi cyniques et sarcastiques que celles écrites par Wilde et on peut lire certains aphorismes tout à fait wildiens comme: "Je ne m'aime plus assez pour dire du mal de moi" ou "Les secrets d'un être ne le rendent mystérieux qu'une fois dévoilés". Cependant, Henry n'est plus le lord fringant du roman original, mais un vieil homme fatigué de vivre qui considère avec un regard critique ce qu'il a fait de sa vie. Certains passages sont un peu trop philosophiques à mon goût mais ce n'est qu'un détail parce que le texte est admirablement écrit et j'ai été ravie de retrouver Wilde à travers les mots d'un autre auteur. 

Oscar_Wilde_portrait


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