De temps en temps ; à un cours, ou sur un conseil d’ami, on fait d’étranges découvertes.
J’avais déjà parlé de l’une d’elle dans ce blog : le film de Jonathan Caouette; Tarnation.
Ce gamin-là sera la seconde. Ce film de Fernand Deligny date de 1975 et raconte, sous la forme documentaire, sept années d’une tentative originale de prise de contact avec des enfants autistes, dont la violence et l’incapacité à parler, s’est révélée un obstacle trop insurmontable pour les familles, et même pour les institutions psychiatriques.
La voix off le répète souvent : pour les médecins, et pour la société, ce sont des enfants incurables. Les images du film montreront l’exact opposé, comme pour dire, déjà, qu’il existe deux modes d’être au monde : le langage, et l’action, à laquelle appartient l’image cinématographique.
Fernand Deligny héberge donc ces enfants dans un camp, en pleine nature, avec le strict minimum. Il y a des éducateurs avec lui, mais ils ne sont pas là pour éduquer, et surtout pas pour parler. Le silence est de rigueur. Les éducateurs travaillent et dessinent. Ils travaillent la terre, ils dessinent des chemins. Dans le film, tout est espace. Fernand Deligny, dans cette approche de l’enfant autiste, remplace le temps par le lieu. Les éducateurs suivent les enfants, tracent les chemins empruntés, et analysent ensuite. Il en ressort un constat troublant : chaque enfant a ses habitudes, plus particulièrement cet enfant qui tourne constamment sur lui-même et se déplace par cercles. Que faire, alors, de tous ces chemins identiques, ces trajets réguliers, répétés ? Ne s’agit-il pas d’un monde, que nous autres, parce que nous maitrisons le langage, ne voyons pas au premier coup d’œil ? Est-ce une autre forme de logique, spatiale cette fois, non pas dictée par l’utilité mais par quelque chose d’autre ?
L’équipe tente alors de faire coïncider ces chemins avec les lieux utilitaires où elle travaille. Le résultat est impressionnant : ces enfants, que tous croyaient incapables, pétrissent le pain, ramènent l’eau de la source, aident à scier du bois. Ils se laissent prendre par la main, aussi, tout cela dans un silence de mots, où seule la nature a le droit de parler : l’eau de la rivière, les craquements du bois.
Les plans fixes sur des photos ou sur les trajets dessinés alternent avec des scènes quotidiennes qui montrent une vie simple, un minuscule village qui vit de son travail. Un film à voir, à connaître, pour son sujet difficile et pour garder le souvenir de cette tentative d’approcher ces enfants autrement, sans le langage, sans thérapie.
Vivre, simplement, entouré de nature et de mouvement. Le temps s’est arrêté. Il n’intéresse pas Fernand Deligny.