2000
Quant vint la fin de tout. Chacun fit vœu de pauvreté.
C’est ainsi que l’on vit s’éloigner, frémissantes, leurs chandelles : ceux parmi les fidèles dont la foi résistait, irréductible aux vérités binaires des machines, s’enfonçaient là dans l’autre, insignifiants deux par deux en se donnant la main, formant les processions interminables, des pantins rejoignant le néant… Pleuraient-ils ou se réjouissaient-ils ? Qu’importe : ils croyaient. Nous autres demeurâmes, éclairés par la lumière blanche des écrans – ça n’était que des nœuds – en attendant qu’ils nous étouffent, pensions-nous, qu’ils nous résolvent. Mais comme les nœuds craquèrent, comme la Terre était ronde, nous fûmes condamnés à nous trouver encore, encore, nous qui n’avions plus rien, eux qui n’étaient plus que des restes, et nous nous reconnûmes honteux, chacun
dans son costume de mots trop grands. On recommencera, glissèrent-ils.
2001
Chaos demeure. Le siècle, cette fois-ci, n’aura pas eu sa chance.
Si l’on n’a pas entendu, dans l’explosion des tours jumelles lorsque les pénétrèrent les deux avions libres et fiers, le motif magnifique d’une bouteille se brisant, disséminant soudain la lumière diffractée dans une infinité de fragments de verre, c’est que l’imagination des poètes ne semblait plus, à la prise de luth, que le fond désolé d’un lac, vide : ils restèrent là dans leur bouche boueuse, tétanisés. Seul l’un d’eux, au prix d’une horrible grimace, parvint à chantonner qu’à travers des gratte-ciels c’était son corps, c’était sa langue qu’on avait fait voler en éclats – après quoi resteraient les organes épars de la diversité. On le félicita ; une déclaration, officielle, vient entériner son constat, et l’assemblée
fit voter les crédits pour la guerre. La guerre civile.
Pierre Vinclair, Les Gestes impossibles, Flammarion, 2013, pp. 112 et 113
[choix de Jean-Pascal Dubost]
Pierre Vinclair dans Poezibao :
bio-bibliographie, extraits 1, Barbares (par J. Segura), Barbares(par F. Trocmé), un entretien (par Florence Trocmé), autour d’un fragment du Kojiki, entretien] avec Pierre Vinclair (par Matthieu Gosztola), 5/5 avec PDF de l’intégralité de l’entretien, ext. 1