Par Michel Ghazal.
Qu’il s’agisse de la destruction du stock d’armes chimiques détenues par la Syrie ou du futur du pouvoir dans ce pays, du gel des activités pour l’acquisition de l’arme nucléaire par l’Iran, du partage des territoires entre Israéliens et Palestiniens et la création éventuelle de deux États ou enfin de l’avenir de l’Ukraine entre le Président Ianoukovitch qui souhaite renforcer les liens de son pays avec la Russie et l’opposition favorable à un accord de coopération avec l’Europe, dans toutes ces situations le choix pour les résoudre est entre la guerre et la violence ou bien la recherche d’une issue négociée.
Pourquoi la négociation a-t-elle encore dans le public une image si négative et dévalorisée ?
Quand bien même le recours à la négociation pour traiter ces situations est dénoncé par certains comme une faiblesse car ils y voient un moyen pour les protagonistes de duper le monde afin d’obtenir des concessions indues ou de jouer la montre afin d’atteindre leurs objectifs cachés, ce recours intense à la négociation pour traiter des situations aussi complexes avec parfois des protagonistes ô combien difficiles mérite, de mon point de vue, d’être salué.
En effet, pour beaucoup, la perception de la négociation, indépendamment du contexte dans lequel elle s’exerce, se caractérise par une ambivalence : parfois considérée comme une activité noble suscitant admiration et fascination, mais plus souvent encore, elle est regardée avec une forte suspicion, de manière réductrice et avec beaucoup de méfiance.
Pour rejeter la négociation comme moyen de résoudre les conflits sur la scène internationale, un des argumentaires les plus utilisés est, selon Pierre Grosser1, la référence tarte à la crème sur la capitulation des démocraties face à Hitler à Munich en 1938. Alors que ces derniers arguent que les négociateurs avaient cédé à Hitler et ce faisant ils s’étaient fait rouler dans la farine, l’auteur rappelle que celui-ci aurait regretté cet accord qui l’aurait obligé à reporter de deux ans ses plans de guerre.Elle est souvent associée au marchandage et son corollaire, le « marchand de tapis ». Ce n’est point glorieux. On lui accole aussi des pratiques fondées sur des manœuvres manipulatoires ou le mensonge. Ce n’est pas très loyal. Enfin, la discrétion nécessaire dans la conduite des négociations et le secret qui l’accompagne peuvent, vu de l’extérieur, être perçues comme une volonté de cacher des magouilles ou se traduire par des compromissions. Elle est donc forcément mauvaise.
La négociation découle d’une bonne analyse des intérêts
Or, l’actualité récente le démontre de manière magistrale, ce sont les intérêts bien compris des acteurs et non pas des considérations morales ou autres qui les poussent à choisir la voie d’une issue négociée. Les autres alternatives – le recours à la force, la coercition, la répression, la violence, la voie juridique ou bien le maintien du statu quo – apparaissant comme autrement plus coûteuses. Pour autant, je suis bien conscient qu’il est très facile de perdre de vue les intérêts et de se laisser entrainer par l’émotion dans des épreuves de force meurtrières et coûteuses en vies humaines et en matériels.
Quand Poutine offre de discuter du démantèlement des armes chimiques syriennes et ce faisant éviter les frappes américaines et françaises sur la Syrie, son intérêt est de faire revenir la Russie comme un acteur majeur sur la scène internationale. Et si Obama accepte de le suivre abandonnant en rase campagne son allié Hollande, c’est que les États-Unis veulent se désengager du Moyen-Orient au profit de l’Asie en créant des alliances avec les pays voisins de la Chine qu’ils souhaitent contenir.
Et si les Américains, contrairement à la volonté de leurs alliés israéliens, saoudiens ou français, ont mené des négociations secrètes avec l’Iran sur son programme nucléaire qui ont ensuite abouti aux accords de Genève, c’est qu’Obama avait besoin de redorer son blason sur la scène internationale et éviter de se laisser entrainer par Israël, à un moment où le désengagement était bien amorcé en Afghanistan après celui en Irak, dans une autre guerre dont nul ne saurait prédire l’aboutissement à long terme. Quant aux Iraniens, leurs intérêts consistaient à desserrer l’étau des sanctions économiques tout en obtenant la reconnaissance de leur place sur l’échiquier régional.
Et si les Russes ont obligé le Président Ukrainien à refuser l’offre sur un accord d’association avec l’Union Européenne, c’est que leur intérêt est de ne pas entrouvrir la voie à un pays frontalier d’intégrer un jour l’alliance atlantique. Alors que la majorité favorable à un rapprochement avec l’Europe ne souhaite pas retomber dans l’orbite Russe. Face à l’affrontement et le sang qui coule comme suite à l’impasse dans laquelle ce pays s’est trouvé, quel autre moyen que le dialogue entre le pouvoir et l’opposition permettra-t-il de trouver un équilibre acceptable par tous sur les relations avec la Russie et l’Europe ? Sinon, l’escalade et les flambées de violence auxquelles nous assistons depuis quelques jours pourront dégénérer en guerre civile.
Et quel sens devrions-nous donner aux déclarations de Mahmoud Abbas, le Président de l’Autorité Palestinienne, lors d’une rencontre avec 250 étudiants israéliens à Ramallah en ce qui concerne deux des points les plus sensibles des négociations avec les Israéliens, le Droit de retour et Jérusalem :
- qu’en aucun cas il ne cherchait à « inonder Israël » des 5 millions de Palestiniens descendants des 760.000 personnes qui ont fui ou ont été chassés en 1948 lors de la création de l’État d’Israël. «Tout ce que nous demandons c’est de mettre le dossier des réfugiés sur la table (des négociations) parce que c’est une question que nous devons résoudre pour mettre fin au conflit», a-t-il ajouté. D’un côté, l’intérêt palestinien est la reconnaissance d’un dommage subi (Al Naqba) et, de l’autre, l’intérêt israélien de préserver son caractère social et son identité d’État juif. Là aussi, nous le constatons, les intérêts sont différents et, par la négociation, il est possible de les concilier.
- qu’il n’y avait pas besoin de « re-diviser Al-Qods » « mais laisser Jérusalem ouverte», pour permettre l’établissement « d’une municipalité palestinienne en plus de la municipalité israélienne dans le secteur Est de la ville », permettant ainsi aux deux peuples de vivre sous leur propre autorité et sous le contrôle d’un organisme de coordination.
En plaidant pour une réelle coexistence, n’est-il pas conscient que les Américains sont décidés à en finir avec ce conflit considérant qu’Israël ne représente plus d’intérêt vital pour leur sécurité et qu’ils vont pousser Nétanyahou, Premier Ministre, à être moins intransigeant ? Là aussi, nous le constatons, la négociation, conduite sous la houlette de John Kerry, reste la voie à privilégier et la probabilité de son succès est cette fois plus grande que jamais.
La recherche d’une issue négociée : la voie la plus civilisée
Même si bien souvent, dans ce type de crises, les acteurs semblent plus souvent enclin à ériger des barrières et se barricader derrière plutôt que de s’ouvrir et creuser des tranchées plutôt que de rechercher un terrain d’entente, la recherche d’une issue négociée mutuellement acceptable reste la voie la plus civilisée pour les résoudre. Sans pour autant oublier que la réussite exige, comme nous l’a enseigné Roger Fisher, de montrer une détermination sans faille pour rechercher et améliorer en permanence notre meilleure solution de rechange à un accord négocié (sa MESORE). Et s’il est nécessaire de s’en servir, d’éviter de la brandir comme une menace au risque d’accroître la résistance que nous cherchons à vaincre. Elle doit servir à rendre le « non » difficile tout en gardant la porte ouverte au « oui » recherché.
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Sur le web.
- Traiter avec le Diable, Éd. Odile Jacob (lire analyse sur mon Blog très prochainement). ↩