Le survivalisme de grand-père

Publié le 21 février 2014 par Copeau @Contrepoints

Les paranoïaques deviennent visionnaires si l’avenir leur donne raison. Alors que les conditions d’une crise sont assez présentes pour la rendre inévitable, il n’est pas inintéressant de s’y préparer, ni de comprendre et apprendre de ceux qui s’y préparent depuis plus longtemps.
Par Baptiste Créteur.

Les survivalistes se caractérisent par leur absence de foi dans le système. Parce qu’ils ne croient pas que ses fondements soient bons ou solides, ou parce qu’ils pensent qu’il ne sera pas capable en cas de besoin de leur apporter le filet de sécurité et l’organisation qui justifient son existence, ils refusent de compter sur lui pour leur subsistance.

Un mouvement hétéroclite

Quelles que soient leurs origines, entre anciens néo-nazis et hippies au cerveau transformé par l’acide pris trop fréquemment, entre disciples de chefs indiens et libertariens convaincus, les survivalistes cherchent à atteindre l’autonomie. Ils peuvent être motivés par un fort sentiment religieux ou communautariste, ou par un individualisme exacerbé ; ils peuvent se préparer à des événements différents, du plus extrême au plus probable, et adopter des stratégies différentes face aux mêmes événements. Mais leurs enseignements sont loin d’être dénués d’intérêt.

Les besoins naturels de l’être humain

L’être humain a besoin, dans cet ordre, d’un abri, d’eau, de feu et de nourriture. Mais le contexte fait varier la satisfaction de ces besoins du tout au tout ; la constante du survivalisme est de satisfaire ses besoins à partir de son environnement.

Certains chercheront à se préparer à une vie dans la nature sans pouvoir compter sur la présence d’eau potable en tournant un robinet et d’électricité en appuyant sur un interrupteur. Ils apprendront à utiliser leur environnement à leur avantage pour fabriquer ce dont ils ont besoin, y compris leurs propres outils ; à chasser, poser des pièges, et se protéger des prédateurs et pillards ; à trouver de l’eau et la purifier, à distinguer les plantes comestibles des toxiques.

D’autres, au contraire, se préparent avant tout à s’extraire de la jungle urbaine et survivre en société. Ils apprennent à se défendre, se cacher, se faufiler partout et s’alimenter sans compter sur des supermarchés ouverts 24h sur 24, 7 jours sur 7.

Certains apprennent à fuir, d’autres construisent leur lieu de vie idéal, à l’écart et fortifié, disposant d’un accès à l’eau potable, de sources d’énergie et de nourriture. Tous semblent opposer au « Juste à temps » d’aujourd’hui un « Juste au cas où » ancestral.

Mon grand-père, ce survivaliste

Mon grand-père a connu la guerre ; il en a même connu plusieurs. C’est mon survivaliste préféré et, je pense, l’un des meilleurs que je connaisse ; pas parce qu’il a une théorie élaborée sur le sujet, mais parce que son quotidien est fait de précautions et parce que sa survie repose sur le bon sens. Il n’a jamais besoin de « se préparer » : il est toujours prêt.

Mon grand-père n’est pas chasseur ; il n’a même pas de camionnette, de rations militaires dans son cellier, ou de masque à gaz en cas d’attaque chimique (ou s’est toujours abstenu de me le montrer pour être certain de l’atteindre le premier en cas de besoin). Mais là où il vit, en rase campagne, mon grand-père dispose de son propre potager, sa propre ferme, qui lui offre de quoi survivre à l’année pour peu qu’il prenne (et il la prend) la peine de stocker. Il pleut assez pour qu’il ne soit jamais à court d’eau potable, et il y a assez d’arbres aux environs pour faire autant de feu que nécessaire. L’isolement le protège, et je doute qu’un rôdeur quelconque ose un jour s’aventurer dans un village perdu où les paysans souvent chasseurs disposent de véhicules capables de déplacer un camion et d’armes capables d’abattre un gros sanglier.

Mon grand-père n’a pas négligé le divertissement et dispose aussi d’assez de livres pour plusieurs vies, de bougies, lanternes, et de tous les outils dont il pourrait un jour avoir besoin ; et, ma grand-mère étant un vrai cordon bleu, ils n’auront jamais à s’inquiéter pour la variété et l’équilibre dans leur alimentation. Non content d’être autonomes, ils sont aussi très proches des autres habitants du village (que les distances permettent difficilement d’appeler voisins) ; tous ensemble, ils formeraient en cas de problème une communauté largement auto-suffisante, bien que vieillissante. Heureusement pour moi, ils seraient alors ravis de voir débarquer leur petit-fils pour leur tenir compagnie.

Vivre comme on survit, ou survivre comme on vit

L’approche de mon grand-père répond aux besoins qu’il anticipe : il peut faire face à n’importe quelle pénurie. Il sait préparer et réparer ce dont il a besoin. Mais il ne peut rien en cas d’attaque terroriste bactériologique et pourrait, s’il se déplace sans arme, voir ses techniques de combat de rue vieillissantes mal servies par ses membres affaiblis par le temps. Il n’a pas tout prévu. Mais ce qu’il anticipe comme étant un risque est couvert.

D’une façon générale, les survivalistes se préparent à des événements complètement différents (certains étant largement surestimés) qu’ils pensent probables, et fixent différemment leur limite du « Juste au cas où ». À mon sens, rien ne sert de se préparer au pire si on peut à peine survivre au quotidien. Une formation au secourisme coûte moins cher et sert plus souvent qu’un abri anti-atomique. Un peu de krav-maga est plus utile que beaucoup d’efforts pour obtenir un permis de port d’arme dans un pays où les armes sont très contrôlées (et où seuls les « gentils » des forces de l’ordre et les « méchants » délinquants ont des armes de combat). Conduire prudemment et avoir un stock d’eau chez soi ont plus de chances de sauver des vies que des tenues hermétiques au cas où E.T. apporterait avec lui des germes inconnus de nos systèmes immunitaires.

Leur motivation et les événements auxquels les survivalistes se préparent ne sont pas leur seule différence. Ils ont aussi des conceptions opposées de l’être humain. Si certains mettent en garde tout intrus qu’ils tirent à vue, c’est probablement qu’en cas de besoin, ils le feront ; et, au besoin, vous préfèreront comme source de protéine que comme consommateur de leurs ressources. D’autres préparent plus que ce dont ils pourront jamais avoir besoin pour offrir une subsistance à ceux qui souhaiteraient les rejoindre. Selon qu’ils craignent de devoir survivre dans un monde post-apocalyptique ou attendent de pouvoir le façonner selon leurs idées, selon qu’ils se méfient et méprisent leur prochain ou l’aiment comme eux-mêmes, les survivalistes seront en cas de besoin et si vous les croisez votre meilleure chance de survie ou votre plus sure façon de mourir.

Du survivalisme au conservationnisme

En prenant conscience de la nécessité de connaître et maîtriser assez son environnement pour y trouver ce dont on a besoin dans n’importe quelle situation, on prend aussi conscience de la nécessité de le préserver. Une vache peut devenir une quantité de viande trop importante pour la plupart des familles, ou donner du lait tous les jours et, éventuellement, quelques veaux. Une poule transforme les déchets alimentaires en œufs et mange les insectes qui auraient sinon attaqué certaines cultures. Les arbres fruitiers sont plus que décoratifs et varier leur saisonnalité permet de disposer souvent de fleurs et longtemps de fruits.

Vivre dans la nature aujourd’hui est plus difficile qu’avant car une source d’eau autrefois potable ne l’est plus nécessairement ; les cultures d’une même région sont moins diversifiées qu’avant ; et même pour vivre dans une yourte sur sa propriété, il faut une autorisation. Mais il n’est pas idiot d’apprendre de la nature, d’aller camper de temps à autre et construire quelques installations rudimentaires, ne serait-ce qu’en temps qu’activité manuelle divertissante. S’il y a réellement une leçon à tirer du survivalisme, c’est qu’il ne faut pas uniquement s’intéresser à prendre ce dont on a besoin dans son environnement ; il est tout aussi important de savoir le préserver et le (re)construire.

Ainsi, en cas d’effondrement du système, il y a peu de chances que l’humanité disparaisse ; comme nos ancêtres, notre famille, sont passés au travers de guerres, d’épidémies et de catastrophes naturelles, et ont survécu sans tout ce que nous appelons aujourd’hui « civilisation », nous pouvons y survivre. Les survivalistes cherchent simplement à augmenter leurs chances de faire partie des ancêtres des hommes de demain, de contribuer à construire pour eux un système plus proche de leurs convictions que celui dans lequel nous vivons et ont l’espoir d’être, après la tempête, plus libres, indépendants et responsables de leurs actes.