LE LOUP DE WALL STREET
Un film de Martin Scorsese
J’ai hésité avant d’aller voir à quoi ressemblait ce loup. Longtemps. D’abord parce que Marty (j’me permets hein, faut dire que je suis quasi pote de régiment avec les sourcils les plus broussailleux de Little Italy) et moi avons pris des chemins dissociés quand il s’est éloigné des règlements de comptes de la communauté italo-américaine. Ensuite, parce que depuis quelques années, il s’est choisi pour alter égo un (plus très) jeune présomptueux au petit nom très Da Vincien *. Enfin, parce que « Le loup de Wall Street » est un biopic et vous connaissez mes craintes (et ma saturation) en la matière. A ce moment, j’ai marqué un temps (j’aime bien marquer des temps). On parlait de Martin Scorsese quand même, géniteur de « Taxi Driver », des « Affranchis », de la « Dernière tentation du Christ » ** !! Celui qui, en plus d’avoir révélé Robert de Niro, Jodie Foster et Harvey Keitel, avait renoncé à une carrière de prêtre avant de s’ensevelir sous un Himalaya de cocaïne sans jamais faire trembler l’objectif de sa caméra ! J’en étais là de mes réflexions quand on m’a demandé mon avis sur le film. J’ai su alors qu’il était temps d’affronter ma destinée ***. D’aussi loin qu’il se le rappelle, Jordan Belfort a toujours été un ambitieux. C’est d’ailleurs pour cela qu’à peine âgé de 22 ans, il décide de frapper aux portes de la finance (sans réels bagages en la matière mais doté d’un sérieux aplomb). Il y découvre un monde où des traders vendent tout et n’importe quoi en n’oubliant pas de s’en mettre plein les poches au passage. Il en suivra avidement les préceptes. Les débuts sont difficiles, dégagé du bureau qui l’avait embauché (perdre des millions sur une première grosse transaction, c’est ballot), il est obligé de repartir à zéro dans une boîte de seconde zone. Mais l’enseignement des premières années et son avidité démesurée vont le mener vers une irrésistible ascension. En matière de polémique, on a tout entendu sur « Le loup de Wall Street » : apologie d’un mode de vie décadent, éloge du tout fric, plus grand nombre de “fuck” prononcés dans un long-métrage depuis l’invention du cinéma parlant ****. J’ai le sentiment que ses détracteurs et moi-même n’avons pas vu le même film (ou s’imaginaient-ils que la Bourse était emplie de joyeux et philanthropes Bisounours ?). Et puis, à tourner un biopic, autant s’intéresser à un personnage fort, muni d’un destin extraordinaire même si parfois parsemé de zones d’ombre. Quel serait l’intérêt de retracer une vie de moine trappiste ***** ? Revenons donc à l’essentiel. Martin Scorsese s’attaque à l’existence d’un type dévoré d’ambition, de son ascension effrénée à sa chute qui ne l’est pas moins, un type doué d’un talent incontestable mais qui, grisé par le succès (et une consommation pharaonique de substances en tous genres), se pense invincible et n’arrive plus à freiner ses délires mégalomaniaques. L’excès, Martin Scorsese le filme comme personne : interventions hallucinées de Jordan Belfort face à une équipe qui le vénère tel un demi-dieu, noubas orgiaques, façon toute personnelle de traiter sa femme ou de motiver ses troupes (prostituées à gogo, chimpanzé distributeur de courrier, lancers de nains, etc.) La réalisation est virtuose, belle, féconde (jeu malin de voix off, personnage principal qui s’adresse au spectateur), le montage fiévreux et tourbillonnant (les 2h 59mn passent comme un rail de coke) et je ne vous parle même pas de la bande originale. Si c’était encore à prouver, Martin Scorsese est un maître. Mais tout ceci serait incomplet sans acteurs performants : Matthew McConaughey (à la courte mais excellente interprétation), Jonah Hill (qui, hors de son registre habituel, démontre une réelle capacité d’interprétation), Rob Reiner et Jon Favreau (Martin, il aime bien faire tourner les collègues), Jon Bernthal (tiens, il y a une vie après les zombies), Margot Robbie (qui, à part sa plastique, n’a pas grand chose à raconter) et même un express mais jouissif rôle de banquier suisse pour le frenchie Jean Dujardin. Mais celui qui n’en finit pas d’occuper le terrain, de se livrer à un réel exercice d’esbroufe, qui incarne brillamment ce loup, c’est bien l’ami Di Caprio. Sacré Leonardo, il en a fait de la route depuis son plouf dans l’océan Atlantique. Si avec cette interprétation, il ne récolte pas de petite statuette, j’en mange mes chaussettes. Avec « Le loup de Wall Street », Martin Scorsese offre un film flamboyant, baroque, excessif, délirant, que vous auriez bien tort de bouder. Et rien que pour le plaisir de voir un prétendant aux Oscars, une bougie plantée dans le fondement, l’exercice en vaut le détour. En vous remerciant. * : Le jeune-vieux Leonardo Di Caprio (il n’y a que moi qui trouve que ce garçon a un physique tout chelou ? Une visage aussi enfantin sur un corps de quadra, c’est effrayant) m’a fait longtemps me questionner sur ce que des réalisateurs pouvaient trouver à son jeu. Et puis l’année dernière j’ai vu Django Unchained. Et j’ai révisé mon jugement. ** : Et de Casino, Raging Bull-you-fuck-my-wife, A tombeau ouvert, Mean street ainsi que de fantastiques documentaires. Car il faut savoir qu’en plus d’être un réalisateur au dessus du lot, Martin Scorsese est un véritable cinéphile, qui parle de films d’une manière passionnante. Si vous n’avez pas vu son voyage en Italie et à travers le cinéma américain, je vous le recommande très très chaudement. *** : En plus d’adorer marquer des temps, j’aime me sentir investie de missions et me prendre pour la Jedi des salles obscures. **** : Il y a quand même un mec qui s’est amusé à comptabiliser la chose, c’est fascinant. ***** : Chose faite dans un très beau documentaire.
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