La Foire du Livre est l'occasion de multiples sous-événements, dont le Prix Première de la RTBF, prix des auditeurs, n'est pas le moindre. Il vient d'être attribué, en direct, à Antoine Wauters pour Nos mères.
La langue saisit d’abord le corps et l’esprit, par son rythme,
par une cohabitation faite d’évidence entre la parole et le regard, l’un et
l’autre posés sur la page et déjà projetés plus loin. Antoine Wauters, dans Nos mères, confirme tout le bien qu’on
pensait de lui depuis ses débuts et ses premiers prix littéraires – d’emblée le
Prix Emile Polak de l’Académie pour Debout
sur la langue, paru en 2008, puis coup sur coup, l’an dernier, le Prix
Marcel Thiry et celui de la ville de Tournai. Le poète, déjà, ne se
satisfaisait pas de poser les mots dans leur agencement le plus juste mais
amorçait un chemin qui, par le récit, devait l’amener à ce roman. Encore
fallait-il qu’il en prenne conscience.
Le passage au roman est-il
une évolution naturelle dans votre travail d’écriture ?
Si on regarde ce que j’ai
écrit depuis quelques années, la narration est de plus en plus présente. Sans
doute parce que la poésie qui vole par-dessus les choses ne m’intéresse plus
autant. J’ai envie de raconter des histoires en prise avec la réalité de notre
époque. Je n’ai d’ailleurs pas l’impression que Nos mères est un premier roman au sens strict.
Si un premier roman est
souvent autobiographique, celui-ci s’écarte du cliché…
C’est un jeu de miroirs
mobile : la vie éclaire la fiction et la fiction éclaire la vie. Contrairement
à Jean, dans le livre, je ne suis pas libanais. Je n’ai qu’une mère, je n’ai
pas été adopté, et ma mère ne ressemble pas à ces êtres faibles que j’ai
représentés, tant la mère libanaise que la mère adoptive. S’il y a un côté
autobiographique, c’est peut-être dans le ressenti de certaines choses :
l’idée d’un parcours qui peut être difficile, l’idée qu’un enfant peut dépasser
des choses très dures qu’il vit quand il est jeune… Ce sont des choses qui me
touchent, sans l’avoir forcément vécu de très près, et qui peuvent mettre mon
écriture en mouvement.
Entre la partie libanaise
et la partie européenne, y avait-il l’envie de confronter deux sociétés ?
Peut-être… J’ai imaginé
l’histoire comme un roman de la résilience. Petit à petit, l’enfant parvient à
dépasser les grandes difficultés qui sont les siennes. C’était intéressant de
montrer le contraste. La deuxième maman a peut-être, objectivement, une vie
plus facile et en même temps, la troisième partie éclaire ses problèmes.
Quel est le point de
départ de l’écriture du livre ?
C’est la première phrase,
signée Jean Charbel, en ouverture du livre : « Enfant, quand je
faisais référence à toi dans les histoires que j’inventais pour me tenir
compagnie, je ne disais jamais maman, ni ma mère, mais bien plutôt nos
mères. » Je ne sais pas pourquoi
elle est venue. Et puis ça a été très long à écrire, même si je savais plus ou
moins où je voulais aller. Le moteur, c’était une voix qui lance un texte, et
j’aimais jouer sur l’idée qu’un enfant, pour faire face à une situation
douloureuse, a recours à la pluralité. Sa stratégie est de s’inventer des amis
imaginaires et de parler en « nous ».
Vous connaissez le
Liban ?
Oui, je m’y suis rendu,
j’ai des amis libanais. Même si ce n’est pas un livre qui parle frontalement de
la guerre, je suis assez au courant de ce qui se passe là-bas. J’avais donc
l’idée de la première partie, et de la troisième aussi. Je savais que je
voulais y disculper la mère adoptive. Entre les deux, la manière dont j’allais
faire venir le petit Jean en Europe et comment il allait vivre les choses,
c’était plus compliqué, alors que la deuxième partie, au niveau du style, était
la plus facile à écrire.