Nos bêtes sauvages sont-elles des envahisseurs ?
La loi et la rumeur les disent nuisibles. Scientifiques, agriculteurs, chasseurs et citadins s’écharpent pour savoir s’ils le sont vraiment. Qu'en est-il des sangliers, renards et lapins ?
Ils sont partout ! Jusque dans nos potagers de banlieue ! Alors que la polémique fait rage dans le département du Nord où auront lieu les 22 et 23 février les Ch’ti Fox days, une grande chasse au goupil, sommes-nous réellement envahis par les grosses et petites bêtes des bois et des champs ? Les exemples ne manquent pas et la vox populi se fait volontiers l’écho des ravages des lapins sur l’île de Ré (Charente-Maritime) ou des dégâts des bêtes à poils roux et à soies noires. Certains adoptent hélas des méthodes radicales pour se débarrasser de ces animaux qui passent désormais pour des fléaux. La réalité écologique est pourtant plus subtile que les grandes invasions barbares.
Sanglier, des hardes, pas des hordes
Indiscutablement, le sanglier hexagonal se porte bien. L’année dernière, quelque 600 000 de ces suidés ont été chassés en France, un record absolu depuis 1972, date du début des enregistrements statistiques. Ces « prélèvements », comme le dit le vocabulaire technique, ont été multipliés par trois en vingt ans. Ils sont l’un des indicateurs utilisés par l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) pour connaître la tendance démographique de l’espèce. Incontestablement, leur nombre a explosé en France, comme dans toute l’Europe. Et l’homme n’y est pas pour rien. « Il y a quarante ans, la situation n’était pas terrible !, rappelle François Klein, chef du centre d’études cervidés-sanglier de l’ONCFS. Les chasseurs ont alors cultivé, en quelque sorte, ces ongulés sauvages et, avec cette espèce explosive, on peut dire que le plan a presque trop bien marché ! »
En préservant leur quiétude, en épargnant les reproducteurs, en nourrissant même les animaux, les humains ont donc lancé le mammifère, capable de doubler ses effectifs les bonnes années de reproduction, dans une folle course à la démultiplication. L’animal a par ailleurs apprécié les modifications du territoire. La déprise agricole, laissant de grandes surfaces en friches, et l’extension de la forêt, lui ont offert un habitat favorable. Enfin, le réchauffement s’y est mis. La douceur s’installant, les cycles de fructification se sont accélérés. Glands et châtaignes à profusion nourrissent plus abondamment les bêtes et provoquent la précocité de l’entrée en chaleur des femelles. « Le sanglier est un opportuniste qui profite de tout cela : il a en effet colonisé toute la France », résume François Klein. La nature s’en porte-t-elle plus mal ? « Dans certains secteurs, on peut imaginer que leur présence en nombre perturbe l’évolution naturelle de la végétation et les oiseaux qui nichent au sol », admet Patrick Haffner, chef du pôle « espèces » au Service du Patrimoine naturel du Muséum national d’histoire naturelle (Mnhn). Avec les humains, le climat s’est en revanche plus nettement détérioré.
Il faut dire que les fédérations de chasse sont tenues de payer pour les dégâts agricoles provoqués par les sangliers une bagatelle de 50 millions d’euros chaque année. « Mais près de la moitié de ces dépenses n’ont lieu que sur quelques points noirs du territoire, les problèmes sont très localisés », tempère François Klein. Du côté des écologues, on confirme. « Le mot invasion est malgré tout un grand mot !, insiste Patrick Haffner. On ne peut tout de même pas parler de hordes de sangliers ! »
L’opinion commune et les sensibilités restent sensiblement différentes. Dans une enquête réalisée par l’ONCFS, 60% des départements français déclaraient que le sanglier posait des problèmes nuisibles aux bonnes relations sociales. Et les hardes ne semblent pas prêtes à s’évaporer. A tel point que certains mettent en doute la capacité des chasseurs, en baisse constante d’effectifs, à réguler ces familles nombreuses. Le sanglier a en effet su adapter sa reproduction à la pression cynégétique, en avançant sa puberté et en modifiant ses mœurs sexuelles par exemple ! Pour que le rythme reprenne son cours habituel, une solution consisterait à arrêter totalement de le chasser pour laisser faire Dame nature, pour voir ce que cela donne. « Mais cette option suppose un courage technique et politique certain », lance François Klein.
Renard, le malin tout-terrain
Le renard revient de loin. D’abord, sa réputation de voleur de poules lui a longtemps collé à la peau. Pour ne rien gâcher, il s’est traîné la rage pendant des années. Ce qui a décimé les populations d’une part, et n’a pas contribué à lui attirer l’amitié de la population d’autre part. Résultat, dans les années 1960, on gazait les terriers, avant de passer à des méthodes, certes moins radicales, de vaccination.
Bonne nouvelle pour la biodiversité, le renard a survécu. « Quand les persécutions ont cessé, l’espèce a su recoloniser les milieux naturels, car le renard est très “adaptable” », note Patrick Haffner, du MNHN. Dans les grandes plaines agricoles qui ont remplacé les champs entourés de haies, naturellement plus favorables, il a su tirer son épingle du jeu. « Il s’en sort mieux que certaines de ses proies, comme la perdrix grise, en grandes difficultés », précise Sandrine Ruette, cheffe de projet petits carnivores à l’ONCFS. Sa souplesse de comportement lui permet même de gîter une nuit ou deux en milieu urbain, et sa qualité d’omnivore lui ouvre une grande palette alimentaire. Sa latitude de déplacement de plusieurs dizaines de kilomètres génère des possibilités de migrations salutaires. Enfin, à raison de trois à six petits par an, dont une partie certes ne survivra pas, le renard assure sa survie.
« Mais, attention, il ne pullule pas !, souligne Sandrine Ruette. C’est un carnivore rapide, mais pas un rongeur qui multiplierait ses effectifs par quatre ou cinq à chaque reproduction ! » Les spécialistes estiment que, depuis dix ans, la population de renard est stable. La dernière estimation, datant de 2008, tourne autour de 0,5 à 2 renards adultes par kilomètre carré en France, pour 0,5 renard prélevé par la chasse ou le piégeage. Une étude de l’ONCFS sur la volaille de Bresse élevée en plein air a bien confirmé que le carnivore ne se privait pas de croquer de la plume. Mais impossible de chiffrer le phénomène au niveau national. Même si c’est la première cause d’autorisation de destruction, pas de quoi semble-t-il en faire un fromage. « Par ailleurs, le niveau de prélèvement n’a pas ou peu d’impact sur les populations », tranche Sandrine Ruette. Trop malin, ce goupil !
Lapin, le grand malentendu
En voilà un qui a du souci à se faire. La rumeur ne lui est pas favorable. Et, pourtant, elle se trompe lourdement. « Dans l’esprit des gens, c’est une espèce en plein explosion, constate Patrick Haffner, du MNHN. En réalité, il n’est plus présent que dans quelques endroits. » Là encore, les humains se sont donné du mal pour passer ce brave lapin de garenne à la casserole.
A une époque où l’espèce était beaucoup plus répandue et le renard pas très en forme, un ingénieur-agronome eut la riche idée d’introduire le virus de la myxomatose sur le territoire français. Cette tentative de régulation de 1952 faillit tourner à l’éradication de l’espèce. « Le lapin de garenne n’était pas armé physiologiquement et la maladie a provoqué une chute très importante des populations », rappelle Patrick Haffner. Contrairement à ses voisins de terriers comme le renard, la conversion des campagnes à l’agriculture intensive ne lui a pas convenu. Les haies lui manquent cruellement. Alors que les grosses bêtes, plus mobiles, passent facilement d’un bois à un autre, le lapin de garenne, petit animal, a du mal à se déplacer sur de longues distances. La fragmentation des habitats se révèle donc fatale.
Malgré sa légendaire capacité de reproduction, lorsqu’une garenne se trouve dépeuplée, nulle arrivée de congénères émigrés ne vient la sauver. « En conséquence, sa situation est très particulière : le lapin de garenne peut se trouver localement en abondance et avoir totalement disparu dans d’autres zones », résume Patrick Haffner. A tel point que lors de la dernière évaluation du Muséum et de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), à la fin des années 2000, l’espèce a été classée comme considérée en déclin. A la grande incompréhension des agriculteurs exaspérés par les terriers, et des citadins qui voient des lapins partout, du rond-point enherbé à la sortie du périphérique jusqu’aux pistes des aéroports. « Le milieu péri-urbain leur convient bien : moins de traitements phytosanitaires et peu de prédateurs, c’est la tranquillité, explique Patrick Haffner. Mais à la campagne, même les chasseurs sont inquiets. »
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Source : Terraeco