L'histoire d'un chien

Publié le 20 février 2014 par Dubruel

d'après "PIERROT" de Maupassant

Madame Magne

Était une dame

De la campagne,

Veuve et parcimonieuse,

Une de ces personnes qui cache une âme

De brute avare et de sotte prétentieuse

Sous des dehors comiques et démodés

Comme elles cachent leurs grosses mains rouges

Sous des gants de soie brodés.

Elle avait une servante, Rose Lagouge,

Qui avait l’air plutôt bébête.

Ces femmes habitaient une maisonnette

Bordée par un petit chemin

Et cultivaient leur modeste jardin.

Une nuit, on leur a volé des radis.

Quand, au matin, Madame descendit,

Elle fut accablée.

Madame Magne avait été volée !

Donc, on volait dans le pays !

Les deux femmes, saisies,

Examinaient les traces de pas :

-« Tenez, il est passé par là… »

Un fermier voisin, maître Boudet*

Les engagea à prendre un chien.

C’était une bonne idée.

Elles devaient avoir un chien,

Mais pas un gros, toutefois !

Elles en feraient quoi ?

Et puis il serait ruineux en nourriture !

Racontons cette aventure :

Mme Magne adopta un corniaud.

Elle l’appela Pierrot.

Quand ce chien voulait son fricot,

Elle ne lui offrait qu’un peu d’eau !

Puis, elle dût l’assurer.

Six francs ! Une dépense démesurée !

Que c’était cher de l’entretenir !

Elle décida alors de s’en dessaisir

Car, en plus, Pierrot n’aboyait pas !

*En Normandie, on appelle un fermier « Maître. »

Mais personne n’en voulut.

Alors, elle se résolut

À lui faire piquer du mas.

Mais pour jeter Pierrot dans la marnière,

Le fils du maire

Demandait vingt sous.

-« Mon Dieu, c’est beaucoup !

Je vais moi-même m’en occuper. »

Oh ! Comme Pierrot a jappé !

Les deux femmes se promirent

De le gâter jusqu’à son dernier soupir.

Pendant trois jours à midi

Elles l’ont nourri.

Mais le lundi suivant,

Provenant

Du fond du puits, elles entendirent

Des aboiements si vigoureux

Qu’elles se dirent :

« Ils sont deux !

Et l’autre semble plus gros

Que notre pauvre Pierrot ! »

Elles ne pouvaient tout de même pas

Jeter dans la marnière deux repas !

Alors elles demandèrent au cantonnier

De sortir du trou

Leur petit toutou.

-« Volontiers.

Ça vous coûtera deux francs. »

-« Comment ? Deux francs ! »

-« Vous croyez que j’vas

M’n’aller là-bas

Pour l’plaisir d’vous l’remonter,

Vot’ Pierrot ; fallait pas l’y jeter ! »

Les femmes s’exclamèrent :

« On ne va tout de même pas nourrir

Tous les chiens de la terre ! »

Le cantonnier partit d’un long fou-rire.