d'après "PIERROT" de Maupassant
Madame Magne
Était une dame
De la campagne,
Veuve et parcimonieuse,
Une de ces personnes qui cache une âme
De brute avare et de sotte prétentieuse
Sous des dehors comiques et démodés
Comme elles cachent leurs grosses mains rouges
Sous des gants de soie brodés.
Elle avait une servante, Rose Lagouge,
Qui avait l’air plutôt bébête.
Ces femmes habitaient une maisonnette
Bordée par un petit chemin
Et cultivaient leur modeste jardin.
Une nuit, on leur a volé des radis.
Quand, au matin, Madame descendit,
Elle fut accablée.
Madame Magne avait été volée !
Donc, on volait dans le pays !
Les deux femmes, saisies,
Examinaient les traces de pas :
-« Tenez, il est passé par là… »
Un fermier voisin, maître Boudet*
Les engagea à prendre un chien.
C’était une bonne idée.
Elles devaient avoir un chien,
Mais pas un gros, toutefois !
Elles en feraient quoi ?
Et puis il serait ruineux en nourriture !
Racontons cette aventure :
Mme Magne adopta un corniaud.
Elle l’appela Pierrot.
Quand ce chien voulait son fricot,
Elle ne lui offrait qu’un peu d’eau !
Puis, elle dût l’assurer.
Six francs ! Une dépense démesurée !
Que c’était cher de l’entretenir !
Elle décida alors de s’en dessaisir
Car, en plus, Pierrot n’aboyait pas !
*En Normandie, on appelle un fermier « Maître. »
Mais personne n’en voulut.
Alors, elle se résolut
À lui faire piquer du mas.
Mais pour jeter Pierrot dans la marnière,
Le fils du maire
Demandait vingt sous.
-« Mon Dieu, c’est beaucoup !
Je vais moi-même m’en occuper. »
Oh ! Comme Pierrot a jappé !
Les deux femmes se promirent
De le gâter jusqu’à son dernier soupir.
Pendant trois jours à midi
Elles l’ont nourri.
Mais le lundi suivant,
Provenant
Du fond du puits, elles entendirent
Des aboiements si vigoureux
Qu’elles se dirent :
« Ils sont deux !
Et l’autre semble plus gros
Que notre pauvre Pierrot ! »
Elles ne pouvaient tout de même pas
Jeter dans la marnière deux repas !
Alors elles demandèrent au cantonnier
De sortir du trou
Leur petit toutou.
-« Volontiers.
Ça vous coûtera deux francs. »
-« Comment ? Deux francs ! »
-« Vous croyez que j’vas
M’n’aller là-bas
Pour l’plaisir d’vous l’remonter,
Vot’ Pierrot ; fallait pas l’y jeter ! »
Les femmes s’exclamèrent :
« On ne va tout de même pas nourrir
Tous les chiens de la terre ! »
Le cantonnier partit d’un long fou-rire.