L’histoire mondiale de la banque libre

Publié le 20 février 2014 par Copeau @Contrepoints

Par Kurt Schuler.
Un article de l’Institut Coppet.

Le Dr Kurt Schuler a donné ce discours lors d’une allocution présentée à un déjeuner organisé par le Centre for Economic Research de Hong Kong, lorsqu’il a visité Hong Kong, en tant que chercheur associé à l’Institute of Humane Studies.

Un billet émis par une banque libre dans le Massachussets.

La banque libre est le principe du libre-échange appliqué à la profession bancaire. En particulier, cela signifie un système d’émission concurrentielle des billets de banque. La banque libre était assez répandue au cours du XIXsiècle. En fait, il y avait environ 55 pays qui avaient un tel système à un temps ou à un autre, bien qu’aucun pays ne vive aujourd’hui sous un régime de banque libre.

Les origines

La banque libre s’est développée à partir des régimes antérieurs de prêt d’argent. En Angleterre, par exemple, les activités des orfèvres, les gens qui prenaient l’or et l’entreposaient, étaient à l’origine de la banque libre. L’Angleterre, cependant, avait un système de banque centrale prototypique. La Banque d’Angleterre a été fondée en 1694 exclusivement comme une institution conçue pour aider le gouvernement à se financer.

En Écosse, d’un autre côté, en dehors de quelques banques à charte, on comptait de nombreuses banques sans charte à responsabilité illimitée. En fait, il y en avait plus de 100 au cours de la période de banque libre écossaise, qui a duré de 1727 à 1844. L’Écosse était l’un des systèmes de banque libre les plus libres en Europe. D’autres pays européens qui avaient des systèmes de banque libre assez déréglementés étaient la Suède, la Belgique, et la France pour quelques années juste après la Révolution française. Il y avait d’autres pays européens qui avaient la banque libre mais avec davantage de réglementations. Cela incluait l’Allemagne, l’Italie, la Suisse, l’Espagne, le Portugal et la Grèce.

En se déplaçant dans les Amériques, tous les pays indépendants d’Amérique du Nord et du Sud, à l’exception d’Haïti et de la République dominicaine, ont eu la banque libre à un certain moment au cours du XIXe siècle. En Europe, il n’y avait aucun raisonnement idéologique derrière l’établissement de systèmes de banque libre. Aux Amériques, cependant, des pays comme les États-Unis, le Canada, le Brésil, et l’Argentine, ont tous eu des expériences terribles avec l’émission étatique de la monnaie avant qu’ils établissent des systèmes de banque libre.

Parmi les endroits dans les Amériques qui ont eu la banque libre, on comptait plusieurs colonies britanniques. La banque libre était répandue à travers l’Empire britannique, et l’Angleterre était la seule puissance coloniale qui permettait la banque libre. D’autres colonies britanniques comme Malte, la Mauritanie, Hong Kong, Ceylan et l’Inde, ont tous eu la banque pour un certain temps. En dehors des colonies britanniques, on compte la Chine, le Japon, la Thaïlande, et les Philippines, parmi les pays d’Orient qui ont vécu sous un régime de banque libre. Au total, il y a environ 55 cas de banque libre dans le monde entier.

La performance

En parlant brièvement, les forces concurrentielles dans un système bancaire fonctionnent similairement à celles des autres industries pour générer un certain type d’ordre. La banque libre n’est pas plus le chaos que, disons, l’industrie informatique n’est le chaos.

Il n’y a pas de bonnes études sur la manière dont la banque libre aurait affecté en bien ou en mal l’économie. Cependant, mon impression de la lecture d’un grand nombre des histoires bancaires de nombreux pays est que la banque libre était certainement tout aussi bonne que la banque centrale dans l’assurance qu’il y ait de la croissance économique et du plein emploi, et elle était peut-être même meilleure.

Là où la banque libre était clairement supérieure en termes de performance par rapport aux banques centrales étaient dans le maintien des taux de change. Au XIXe siècle, la banque libre signifiait toujours un système où les dettes des banques étaient convertibles en or ou en argent. L’arbitrage en monnaie étrangère était extrêmement efficace dans le maintien des degrés d’or du système bancaire au sein d’une gamme très restreinte de parités.

Les systèmes de banque libre ont généralement connu un système bancaire stable. Il y a eu peu de ruées sur les banques en temps de pays dans l’ensemble du système. Il est vrai qu’il y a eu des cas où des douzaines de banques américaines ou anglaises ont fait faillite. Je l’attribuerais cependant à la réglementation. Dans ces deux pays il y avait des réglementations qui empêchaient la croissance de banques stables et importantes comme celles qui limitent les succursales. En comparaison, les systèmes de banque libre étaient moins réglementés en Écosse et au Canada. Ces systèmes sont passés par les paniques dont l’Angleterre et les États-Unis sont sortis pratiquement indemnes, et les faillites bancaires étaient moins nombreuses et beaucoup moins désastreuses. En temps de guerre, il y avait souvent des ruées vers les banques. Cependant cela était vrai aussi dans les systèmes de banque centrale où il y avait la convertibilité en or.

Les systèmes de banque libre avaient leurs propres manières d’aider leurs membres en temps de crise. Il y avait des marchés de prêt interbancaire, juste comme aujourd’hui. Également, les banques formaient parfois des syndicats pour renflouer un de leurs membres. Les banques faisaient face également aux crises par la fusion, une banque moins saine se joignant à une autre. Finalement, dans des occasions extrêmes, les banques libres suspendaient la convertibilité en or et en argent pour des périodes brèves. Cependant, il faut souligner qu’elles faisaient ainsi seulement lorsque le système bancaire était sous une pression extrême. Beaucoup des systèmes légaux de l’époque ne permettaient aucune sorte de compromis contractuel entre les détenteurs de billets et les banques. S’il y avait existé un mécanisme contractuel, une certaine sorte de compromis aurait été élaboré, comme dans le système bancaire écossais. Quand un détenteur de billet demandait l’or à une banque écossaise, la banque pouvait retarder le paiement de l’or jusqu’à six mois, à condition qu’il puisse payer un taux d’intérêt de pénalité en même temps. L’incitation au profit était pour la banque de reprendre vite la convertibilité en or ou en argent pour éviter d’avoir à continuer de payer ce taux de pénalité.

Les systèmes bancaires qui n’ont pas été entravés par des restrictions sur les succursales bancaires ont tendance à avoir quelque part entre deux et vingt banques, ce qui est un assez petit nombre. Cependant, cela n’avait apparemment pas inhibé la concurrence. Dans les rares cas où j’ai pu trouver une référence, les tentatives pour cartelliser les systèmes bancaires ont été sans succès. Je n’ai trouvé aucune preuve que les systèmes de banque libre avaient des tendances au monopole naturel. Tous les systèmes qui permettaient l’émission concurrentielle de billets avaient plus d’une banque émettrice de billets.

Le déclin

La banque libre réussissait plutôt bien, mais elle a décliné et elle n’existe plus aujourd’hui. On peut classer les causes du déclin de la banque libre en trois grandes catégories. D’abord, dans le plus grand nombre de cas, la banque centrale était le produit d’une certaine sorte de débat théorique et politique, assez long et étiré, souvent provoqué par les effets perçus dans le système de banque libre existant. Un exemple classique était le débat entre « l’école monétaire » et « l’école de la banque libre » en Angleterre. La première avait plus d’influence auprès du gouvernement britannique de Sir Robert Peel, et elle avait persuadé le gouvernement de monopoliser toute émission de billets (à la fois en Angleterre et en Écosse) par la Banque d’Angleterre.

Dans le second groupe de cas, il y avait une certaine sorte de crise dans le système bancaire qui avait conduit à une pression politique sur le gouvernement pour « faire quelque chose », et la banque centrale avait été introduite plus ou moins comme une mesure d’urgence. Après qu’elle ait été établie, elle a gagné un élan institutionnel et a persisté jusqu’à aujourd’hui.

Dans certains autres cas, les États ont monopolisé l’émission des billets comme un moyen d’extraire un revenu pour financer les dépenses. Cela s’est produit en France en 1803 quand Napoléon a donné un monopole de l’émission des billets à la Banque de France.

La Première Guerre mondiale a été un moment tournant dans l’histoire de la banque libre. Des pays comme le Canada et la Nouvelle-Zélande, qui avait eu des systèmes de banque libre, ont adopté des formes de contrôle étatique de l’offre de monnaie pour aider à financer leur implication dans la guerre. La Société des nations a recommandé dans un mémorandum influent que toutes les nations qui n’avaient pas de banque centrale en créent une. Le dernier système de banque centrale, aussi loin que je puisse dire, était celui du Venezuela, qui a été remplacé par une banque centrale en 1940.

Conclusion

Les leçons que je peux tirer de l’histoire mondiale de la banque libre sont au nombre de deux. D’abord, la banque libre était en un sens le système naturel. Il n’y avait aucune tendance économique inhérente vers la banque centrale. Je pense que la banque centrale était établie dans à peu près tous les cas comme une mesure politique. Il n’y a autant que je sache aucun besoin apparent, par exemple, de prêteur en dernier ressort, ou de contrôle de l’offre de monnaie afin d’assurer la stabilité macroéconomique. L’autre leçon est que la banque libre était répandue, bien plus commune que les gens l’ont supposé, et fonctionnait généralement assez bien. La logique économique qui sous-tend la banque libre est intemporelle, et les mêmes forces qui ont fait de la banque libre un système stable et efficient au XIXe siècle s’appliqueraient également bien aujourd’hui.


Sur le web. Traduit par Marc Lassort, Institut Coppet