"Il y a cinq ans, on aurait sérieusement mis en question la santé mentale de quiconque aurait prédit que M. Mandela et moi recevrions ensemble le prix Nobel de la paix, et pourtant nous sommes ici devant vous." En ce mois de décembre 1993, Frederik De Klerk, encore à la tête de l’Afrique du Sud, semble avoir lui aussi du mal à réaliser le chemin parcouru en si peu de temps par les ennemis d’hier. Certes, les deux leaders se préparent à s’affronter devant les urnes et dans leur pays la tension est alors à son comble, mais qu’importe, le processus de démocratisation est bel et bien en marche. Grâce, en grande partie, à ces deux hommes que tout oppose.
Le combat de Nelson Mandela remonte à loin. Elevé dans un village à l’est de l’Afrique du Sud, il crée le premier cabinet d’avocats noirs du pays et milite contre la domination politique de la minorité blanche en faveur des droits des populations de couleur. Après l’interdiction de l’ANC (le Congrès national africain), qui s’oppose de manière non violente au régime de l’apartheid instauré à la fin des années 1940, Mandela fonde et dirige la branche armée de l’organisation. Arrêté en 1962, il est condamné deux ans plus tard, avec ses camarades, à la réclusion à perpétuité pour sabotage et complot. Il a 46 ans et sera privé de liberté durant vingt-sept ans. Pendant son incarcération à Robben Island, au large du Cap, la contestation sociale ne cesse de croître, entraînant une répression toujours plus dure.
Dans les années 1980, l’Afrique du Sud est dirigée d’une main de fer par Pieter Botha, le chef du Parti national. Un homme autoritaire mais pragmatique qui a compris que le régime vit ses dernières heures. Au sein du gouvernement, parmi ses ministres, on trouve un jeune avocat afrikaner né dans une famille conservatrice et très influente : Frederik Willem De Klerk.
Engagé en politique en 1971, De Klerk a longtemps cru au bien-fondé de l’apartheid, avant "d’arriver à la conclusion, avec d’autres collègues, que le concept de ségrégation n’était rien de plus qu’une institutionnalisation de l’injustice, que c’était mauvais et qu’il fallait l’abandonner".
Elu à la tête de l’Etat, il va renforcer, par l’intermédiaire de représentants du gouvernement et des services secrets, les négociations ultraconfidentielles, entamées en mai 1988 sous ordre de son prédécesseur, avec Nelson Mandela, devenu le symbole de la lutte contre le régime.
Les deux leaders se rencontrent pour la première fois en décembre 1989, alors que Madiba est toujours emprisonné. Ce sera, selon Dave Steward, directeur de cabinet de De Klerk, « le début d’une longue et parfois très tumultueuse relation ». Libéré le 11 février 1990, Mandela accède au pouvoir lors des premières élections multiraciales, en 1994. A ses côtés, deux vice-présidents, dont Frederik De Klerk, qui finit par se retirer en 1996, peu après l’adoption de la nouvelle Constitution. Mandela, lui, abandonne la politique en 1999. En à peine six ans, ces deux hommes, qui se sont tant affrontés, ont écrit ensemble une page majeure de l’histoire de leur pays.
Beatriz Loiseau
Source(s) : France 5
Réalisation : Julien Hamelin
Date(s) : 06/03/15 - France 5 - 21h40