« Les utopies d’aujourd’hui sont les réalités de demain », disait Victor Hugo. Elles le sont parfois déjà. C’est par exemple le cas des monnaies locales complémentaires, ces alternatives aux monnaies officielles, qui étaient le sujet de la première soirée sur « Les Utopies concrètes » au Remue-Méninges, vendredi 14 février.
Jeunes ou moins jeunes, « spécialistes » ou néophytes, ils sont quelques dizaines à débarquer au Remue-Méninges ce vendredi soir. Beaucoup sont venus avec quelque chose à manger, un plat fait maison à partager. Amna et Justine, les deux organisatrices de la soirée, réalisent actuellement leur service civique. Dans le cadre de leur projet citoyen intitulé « Les Utopies concrètes », elles ont décidé de consacrer leur premier Café Transition aux monnaies locales complémentaires. Pour l’occasion, elles ont invité l’association MLCC42 (Monnaie locale complémentaire et citoyenne Loire Sud), qui planche depuis deux ans sur la création d’une monnaie locale, « le lien », qui devrait voir le jour au cours de l’année 2014.
Une monnaie locale, c’est quoi ?
Les monnaies locales complémentaires représentent une alternative aux échanges monétaires « traditionnels », qu’ils se fassent en euros, en dollars ou dans toute autre monnaie officielle que ce soit. Elles s’inscrivent dans une démarche citoyenne qui privilégie la consommation locale et les circuits courts, en replaçant l’homme et l’environnement au centre. Enfin, et surtout, elles permettent l’échange de produits et de services sans alimenter le marché financier, et par conséquent la spéculation et les transactions financières opaques et « basées sur du vent » qui constituent 98 % des échanges monétaires dans le monde. Quoi de plus sensé en ces temps de crise qui se nourrit d’elle-même ?
Le quiz sur les monnaies locales
Comme son nom l’indique, une monnaie locale complémentaire ne remplace pas une monnaie officielle mais la complète. Une unité équivaut à un euro. Les utilisateurs « achètent » des unités de monnaie avec lesquelles ils pourront acheter des produits et services auprès de prestataires agréés par l’association émettrice, c’est-à-dire qui adhèrent à la charte et en respectent les principes. Les euros récoltés sont placés sur le compte d’une banque coopérative (le Crédit Coopératif ou la NEF, par exemple), sur laquelle les clients, qui sont actionnaires, ont un droit de regard. Cet argent ne peut être utilisé que pour des projets approuvés lors des assemblées générales et n’alimente en aucun cas les circuits bancaires habituels, sur lesquels les citoyens n’ont aucun contrôle.
Les monnaies locales en France :
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S’inspirant de ce qui se fait ailleurs, en France ou au-delà, l’association MLCC42 fonctionne sur la base du consensus. Lorsqu’une personne a une objection à une proposition, on discute jusqu’à ce qu’elle n’ait plus d’argument à opposer. « On n’adopte le vote qu’en cas d’extrême limite. » Les travaux portent actuellement sur l’amélioration des documents de travail tels que la charte et la recherche de prestataires. Il en faut une cinquantaine ou une soixantaine avant de pouvoir lancer la monnaie. Si la charte pose évidemment des principes éthiques auxquels ces prestataires doivent adhérer, il convient également de ne pas les « effrayer » avec des règles trop strictes qui pourraient les dissuader de s’engager dans l’aventure. Ce sera notamment l’objet de la prochaine réunion de l’association qui aura lieu le 24 février à 19 heures à la salle Gagarine, à La Ricamarie.
« Les Utopies concrètes »
Amna et Justine ont posé leurs bagages au Remue-Méninges où elles ont installé leur coin des « utopies concrètes ». Les murs sont ornés de diverses citations sur l’économie, dont celle fameuse de l’industriel américain Henry Ford : « Il est appréciable que le peuple de cette nation ne comprenne rien au système bancaire et monétaire, car si tel était le cas, je pense que nous serions confrontés à une révolution avant demain matin ».
Discussions autour du quiz
Cette première soirée se déroule en plusieurs temps. Après avoir présenté leur projet, elles font un bref descriptif des alternatives aux échanges marchands : les monnaies locales, les SEL (systèmes d’échange locaux) ou encore le bitcoin. S’ensuit une projection d’un extrait d’un documentaire sur le sol violette, la monnaie locale complémentaire toulousaine, qui ne fait d’ailleurs pas l’unanimité. Ainsi, ce représentant de La Commune, la monnaie locale de Roanne, voit d’un mauvais œil le fait que la Ville de Toulouse ait investi dans le sol violette ou que l’on puisse « aller chez Jules acheter des vêtements fabriqués au Bangladesh avec une monnaie dite ‘citoyenne’. Les mots ont un sens ».
Vient ensuite le quiz préparé par Amna et Justine. Plusieurs dizaines de questions sur les monnaies locales auxquelles il faut répondre par vrai ou faux. Chacun a écrit au feutre « V » sur une main et « F » sur l’autre. Pour répondre, on pose l’une ou l’autre sur la table. Ou, plus exactement, on tape de bon cœur. Le jeu génère des discussions, des questions et des réflexions qui sont inscrites sur des post-it collés sur un panneau.
Après une petite heure de jeu, il est temps de faire une pause pour manger et boire un coup. Les panneaux sont posés près du bar et serviront de base à la dernière partie de la soirée, les questions et les réponses sur la mise en place et le fonctionnement d’une monnaie locale.
Beaucoup de questions
Le quiz a suscité beaucoup d’interrogations auxquelles les membres de MLCC42 tentent d’apporter des réponses. « Et les cinq millions de chômeurs ? Qu’est-ce que ça change pour eux ? » demande une personne. « La question, c’est plus les pauvres que les chômeurs. L’emploi salarié est aussi un outil du capitalisme, comme l’argent », répond une autre. On apporte des exemples concrets, comme le sol violette qui a permis la création indirecte de 300 emplois. Si une monnaie locale ne peut être à elle seule une solution au problème du chômage, elle peut en revanche servir de levier, par exemple en relançant des productions locales.
On évoque l’article 123 du Traité de Lisbonne qui oblige les États à emprunter auprès de banques privées, alimentant ainsi une dette exponentielle dont tout le monde se demande si on en viendra un jour à bout. Le monnaie locale, elle, permet de retrouver une forme d’autonomie. Elle est « un grain de sable qui permet de sortir de la spéculation à son échelle ».
Quelqu’un demande si, en tant que salarié, il peut être payé en liens. « Si vous êtes d’accord, oui. » Il s’agit d’une négociation entre employeur et employé. Si les deux parties souhaitent procéder ainsi, il n’y a aucune impossibilité à cela. Toutefois, il n’est actuellement pas possible de régler l’intégralité du salaire en monnaie locale. En effet, il sera toujours nécessaire de posséder des euros pour régler un certain nombre de produits et services : EDF, impôts, achats divers, etc.
Puis on aborde le thème de la charte, sur laquelle beaucoup s’interrogent. « La liste est longue et exigeante, reconnaît un animateur du lien, et les prestataires risquent de ne pas être très nombreux. » Il est donc proposé de rédiger une charte plus pédagogique. En revanche il est clair que la nature même de leurs produits empêche certains commerçants de devenir prestataires, comme ce fleuriste dont les fleurs viennent du Kenya en transitant par Amsterdam. Une exigence non négociable qui fait partie des « critères barrières », comme le fait qu’une entreprise soit cotée en Bourse. « Dans ce cas-là, on ne pourra pas acheter de chocolat ? » plaisante quelqu’un.
D’autres s’interrogent sur un risque éventuel de communautarisme, voire de sectarisme. « C’est un choix personnel, pas du sectarisme. Il y a une charte standard mais elle est aussi personnelle. C’est une manière de ne plus être de simples consommateurs, mais des ‘consommacteurs’. »
Le mot de la fin revient à Philippe, de MLCC42, qui en profite pour remercier Amna et Justine. « Nous avons tous un V et un F sur les mains. Alors j’ai envie de dire : ‘Vive les filles’ ». Celles-ci animeront leur prochain café transition le 7 mars prochain, sur le thème de la récupération. Tous ceux qui ont envie d’apprendre à fabriquer une guitare à partir d’une vieille poêle ou de participer à une « Disco soupe » sont les bienvenus.
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