Par Jean-Yves Naudet.
Un article de l’aleps.
Entendre un Président socialiste français vanter l’économie de l’offre et critiquer la relance par la demande a quelque chose d’agréable et de surréaliste à la fois ; avoir des doutes sur la réalité de cette conversion relève du bon sens et d’une hygiène libérale élémentaire. Pour sa part l’aleps a exprimé son scepticisme plusieurs fois récemment.
En fait, la « politique de l’offre » évoquée par François Hollande se ramène à peu de choses, voire même à néant quand on constate l’accent mis sur les « contreparties ».
Quelles contreparties ?
Dans sa conférence de presse et ensuite dans ses vœux aux acteurs économiques et sociaux, François Hollande l’a clairement précisé : le pacte de responsabilité, centré sur la baisse des charges des entreprises et donc du coût du travail de 30 milliards, ne se produira qu’en échange de « contreparties ».
Pour souligner l’importance de ce principe, il sera créé un « observatoire des contreparties » présidé par le premier ministre (étrange conception de la simplification que de créer des organismes nouveaux, dont un « conseil de simplification » !).
A priori, pour les Français, ces contreparties pourraient sembler de simple bon sens et obéir à une logique du donnant-donnant : l’allègement des charges est compensé par la création d’emplois, prioritairement pour les jeunes et pour les seniors. Des emplois de qualité, accompagnés d’investissements plus substantiels : voilà aussi de quoi relocaliser les activités sur le territoire national : de quoi réjouir M. Montebourg. D’ailleurs celui-ci, enthousiaste du pacte (!), s’est lancé aussitôt dans la surenchère. Sur le million d’emplois évoqué par certains responsables patronaux, notre ministre du redressement productif en a rajouté un second. Pourquoi pas un troisième ?
Ce discours sur le pacte n’a suscité que peu de réactions négatives, les « experts » approuvant cette conversion présidentielle et les hommes politiques de l’opposition se contentant de crier « au voleur » : il nous a volé notre programme ! Notons au passage que c’est une étrange façon d’essayer de récupérer les électeurs perdus en disant que l’adversaire a piqué notre programme !
Personne n’a crié au scandale, c’est donc à qui se réjouira le plus de l’idée de ce pacte, sinon de son réalisme. Et pourtant le « cadeau » est empoisonné.
Les cadeaux que l’on ne peut refuser
Passons sur le « cadeau » de 30 milliards. Que diriez-vous si je vous prenais de force 1000 euros, puis que, dans un élan de bonté, je vous en rende 100, vous faisant ainsi un « cadeau ». Réduire les charges, c’est tout sauf un cadeau : c’est rendre une petite partie de ce que l’on a pris de force (le terme de prélèvement obligatoire est significatif). Surtaxer les entreprises pour ensuite les dépouiller un peu moins est une étrange façon de faire des cadeaux. Quant au montant, une lecture attentive du discours présidentiel montre qu’il ne s’agit pas de 30 milliards, mais de 10, car 20 milliards de crédit d’impôts ont déjà été en principe accordés il y a un an avec le Cice (Crédit d’impôt compétitivité entreprises) mais ne seront pas renouvelés et seront juste remplacés par une partie de la suppression des cotisations familiales : 30 – 20 = 10 !
L’essentiel n’est pas là. Admettons : il y a une promesse de baisse de charges. Le surréaliste est dans l’idée de contrepartie : non seulement un ou deux millions d’emplois, mais pas n’importe lesquels, non précaires, pour les plus jeunes ou les seniors, etc. Quelle conception de l’économie enseigne-t-on à l’ENA ? Celle de la macroéconomie, où l’on calcule des flux globaux et le principe des vases communicants : tant de charges en moins cela fait telle somme, donc tant d’emplois ? Celle d’une économie où les entreprises n’existent pas de manière autonome, mais sont soumises aux organisations patronales : les énarques voient-ils les chefs d’entreprise comme des fonctionnaires hiérarchiquement soumis au MEDEF ou à la CGPME, qui leur intimeraient l’ordre de créer tant d’emplois et tels emplois précis ?
Les entreprises aux ordres des partenaires sociaux
Voilà une conception de l’économie proche de l’économie de plan, avec des directeurs d’entreprises fonctionnaires. Un entrepreneur n’obéit pas aux ordres de son organisation professionnelle : il sait ce qu’il doit faire compte tenu de ses projets, de ses moyens, de l’état du marché ou de la concurrence, de ses charges, qui sont un élément parmi d’autres, de sa capacité à innover, des risques qu’il veut ou peut prendre, des obstacles bureaucratiques ou réglementaires et de millions d’éléments qui échappent même aux énarques. Quel chef d’entreprise serait-il capable de dire : dans trois ans, j’aurai créé tant d’emplois ; et quelle organisation patronale pourrait-elle s’engager sur ce terrain pour des millions d’entreprises, dont chacune a ses spécificités et son autonomie ?
Cette conception est à rapprocher de la référence permanente aux « partenaires sociaux », cœur de la social-démocratie chère au Président Hollande. Des syndicats « représentatifs » prennent des engagements au nom des salariés et des syndicats patronaux feront de même pour les entreprises. Mais ils n’ont pas de pouvoir hiérarchique et aucune entreprise ne créera un emploi sur injonction si cela ne correspond pas à ses besoins ou projets ; c’est encore plus vrai quand on dit quelle catégorie de demandeurs d’emplois satisfaire en priorité ou encore combien investir en France !
Les contreparties, c’est la négation de l’économie de l’offre
Tout cela repose sur une conception de la vie économique où tout se décide au sommet. Même si les organisations patronales s’engageaient sur cette voie et signaient de belles promesses, il n’y a aucune chance que les entreprises suivent, sauf si c’était leur choix, compte tenu des circonstances économiques du moment ; mais dans ce dernier cas, avec ou sans signature, les emplois auraient été créés. Jacques Rueff comparait le plan français au chant du coq : Chantecler croit que c’est lui qui fait lever le soleil. Les contreparties de François Hollande, c’est Chantecler.
Enfin, et c’est sans doute l’essentiel, la vision de l’économie qui a inspiré le pacte est aux antipodes de l’économie de l’offre – la vraie. Car l’économie de l’offre, c’est quoi ? C’est l’idée non seulement que l’offre va créer sa propre demande, comme le président l’a rappelé, mais c’est surtout le fait qu’on libère l’offre de deux contraintes majeures : les impôts excessifs et les réglementations paralysantes. L’économie de l’offre, c’est défiscaliser et déréglementer. C’est rendre aux entreprises la liberté d’entreprendre.
L’économie de l’offre, c’est l’action de la liberté sur chacun de nous, entrepreneurs, salariés, épargnants… Il s’agit de stimuler, par la liberté, l’incitation à produire, entreprendre, investir, épargner, travailler, innover, etc. C’est le contraire d’une règlementation globale : c’est l’alliance de la liberté et de la responsabilité. Les « contreparties » sont en fait la négation de l’économie de l’offre.
L’économie ne se fait pas à travers un pacte entre l’État et les entreprises, ou un accord entre « partenaires sociaux », mais à travers les échanges entre producteurs et consommateurs. Des entreprises au service de la communauté.
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