Bon, décidément, la révolution bolivarienne, ça ne marche pas. Du reste, j’avais noté, il y a un an de cela, que ce qui se passait au Venezuela, à savoir l’application de principes socialistes de plus en plus étendus et profonds, conduirait inévitablement le pays à la ruine. Et mon pronostic s’était confirmé en octobre dernier lorsqu’on avait pu constater l’apparition de pénuries assez systématiquement associées avec les meilleures pages du collectivisme. À présent, le socialisme chavezoïde part totalement en sucette.
Et c’est, finalement, parfaitement logique : encore une fois, et comme dans toutes les expériences précédentes, le conducteur ivre a planté la voiture dans le fossé. Encore une fois, les embardées qui ont précédé le plantage ont toutes été mises sur le dos des conditions atmosphériques, de la qualité de l’asphalte, de l’imprécision des commandes de bord et de la mauvaise volonté générale des éléments extérieurs à se comporter comme le désirait le pilote bourré. Et comme on peut s’y attendre, alors que les pompiers seront mobilisés pour désincarcérer son corps mutilé de l’épave fumante, vous pouvez être sûr que la presse française commentera l’accident en notant le retard des secours, l’absence de marquage au sol, le virage bien trop sec, la route bien trop humide, et ne voudra jamais voir le conducteur bien trop imbibé.
Le socialisme ne marche pas, même pas une fois, même pas en rêve, même pas par hasard ou sur un malentendu. Jamais. Et encore une fois, un pays dirigé par un socialiste s’en va droit à la guerre civile. Encore une fois, les intellectuels (notamment Français) s’empresseront de ne pas mettre le désastre sur le dos des responsables pourtant évidents, un Chavez à moitié fou et un Maduro parfaitement incompétent, tous les deux baignés d’une idéologie mortifère qui a pourtant déjà maintes fois prouvé qu’elle ne marchait pas.
Encore une fois, les petits excités du socialisme réel nous expliqueront deux choses qu’ils qualifieront d’évidentes.
D’une part, cet échec n’est pas un échec du socialisme. Même si une goutte de merde dans un bol de soupe a cette fâcheuse tendance à produire un bol de merde, et même si l’introduction d’une toute petite quantité de socialisme dans une société aboutit systématiquement à une baisse de la satisfaction générale, tout ceci n’est qu’un nouvel essai raté qui ne pourra jamais être mis au débit du vrai socialisme, le pur, qui n’entraîne que joie, bonheur et lendemains qui chantent, parce que c’est marqué sur la petite brochure rouge.
D’autre part, cet échec n’est que la conséquence logique des émeutes de plus en plus violentes actuellement à Caracas, qui ne sont elles-mêmes que le résultat de complots ourdis par la CIA américaine / la machination des sauriens / la finance internationale apatride, trio mémorable toujours fourré dans les pattes des liders maximos, minimos et approximativos qui se lancent dans le communisme avec cœur, ferveur, humanisme, et une bonne cargaison d’armes automatiques, butez-moi ces dissidents sans attendre merci.
En attendant, on n’entend guère les pépiements de Mélenchon qui devrait pourtant se réjouir de constater que tout un peuple se lève, unanime ou presque, pour retrouver sa liberté. On ne lit pas beaucoup, dans les colonnes d’habitude enfiévrées de Libération, de mise en perspective des « millions » de pro-chavistes qu’on voyait défiler lors de la campagne de Maduro, et les quelques protestataires violents dans les rues de Caracas… Pas de remise en question des scores pourtant fleuves de ces élections, alors que, pourtant, des fraudes avaient été repérées.
Et pendant que le Venezuela montre clairement que l’expérience chaviste est un échec cuisant qui aboutit, pour un pays exportateur de pétrole, à des inégalités creusées, une société plus violente et plus pauvre, où les pénuries sont maintenant choses communes, et ce pendant que l’argent du pétrole n’arrive pas à calmer les ventres populaires, l’Argentine montre que les mêmes recettes socialistes provoquent les mêmes effets catastrophiques.
Rassurez-vous : aucun parallèle n’est fait entre les trajectoires de ces deux pays et celle de la France, par exemple. C’est dommage, parce qu’il y a plusieurs éléments qui laissent penser que tout ceci ne doit rien au hasard.
Pire : si le Venezuela montre surtout l’attachement indécrottable des « intellectuels » français au communisme le plus romantique dans les journaux et le plus délétère dans les faits, l’Argentine montre, elle, que le mal est profond et s’étend bien au-delà de quelques universités et quelques épaves journalistiques en attente d’une aumône étatique. Le pays sud-américain, qui était encore la 9ème puissance mondiale en 1950, est en effet l’heureux bénéficiaire du soutien financier de la Banque de France.
Oui oui, vous avez bien lu, contribuable français : vous soutenez l’Argentine. Et quel soutien !
Comme le détaille ce fort intéressant article de Jean-Philippe Feldman paru récemment dans Les Échos, l’Argentine a eu recours, il y a une dizaine d’années, à un certain nombre de prêts pour redresser ses finances et tenter de sortir du bourbier dans lequel une bonne petite dose de socialisme l’avait fourré (si vous voyez comme un motif qui se répète, c’est que la propagande journalistique française n’a pas totalement fonctionné). Ces prêts furent alors placés volontairement par l’État argentin sous juridiction américaine, et ce afin de rassurer les prêteurs sur sa volonté de remboursement. Sans grande surprise, lorsqu’il a fallu rembourser, patatras, le gouvernement de Buenos Aires fit volte-face. Et la juridiction américaine, seule compétente en vertu des accords conclus par les parties prenantes, a tranché, à plusieurs reprises, dans le sens des prêteurs : les engagements pris par contrat doivent être respectés et le gouvernement argentin doit donc rembourser, il n’y a pas à tortiller. Ici, vous pourrez insérer l’un ou l’autre juron habituel anti-capitaliste de votre choix, ainsi que le mode « Complot de la CIA » qui s’impose à l’évidence.
Devant cette déconfiture, incroyablement, les autorités françaises ont choisi de soutenir publiquement le gouvernement argentin spoliateur. Comme l’explique fort bien Jean-Philippe Feldman :
« Entre les prêteurs lésés et un gouvernement malveillant, Paris a choisi de soutenir ceux qui renient leur parole, ceux qui violent les contrats, ceux qui ignorent leurs engagements. »
C’est bien résumé : les élites politiques et financières françaises se fichent comme d’une guigne de toute moralité, de la parole donnée ou de la nécessité d’un respect minimum des contrats, ou de la Loi en général. Opérés de la honte très jeunes et habitués très tôt à ne voir dans la morale qu’une encombrante convention sociale dont on devra se départir très vite pour accéder aux plus hautes fonctions de l’État, les politiciens et technocrates français illustrent ici qu’ils sont aussi touchés par le mal qui ronge l’Université et la presse française, gauchisées à outrance au point d’en être caricaturaux.
Et lorsqu’on apprend que non seulement la France fait un joyeux trampoline sur la loi internationale, mais qu’en plus elle a eu la judicieuse idée de faire contracter par la Banque de France des relations avec la Banque Centrale Argentine (apparemment, c’est la seule banque centrale au monde à accepter ce type de rapprochement avec le régime Kirchner), on comprend qu’il n’y a plus de limite dans l’indécence et l’immoralité ; l’idéologie dogmatique des élites, qu’elles soient jacassantes ou agissantes, est devenue une manie si compulsive qu’elle permet d’affirmer, sans se tromper, que ce pays est foutu.
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