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Ma rencontre avec Pierre Mikaïloff, le rockeur qui sait manier si bien la plume...

Par Filou49 @blog_bazart
18 février 2014

 HD pierre par céline 1

Quelques jours à peine après avoir publié mon billet sur Daniel Darc, dans lequel je parlais notamment de l'ouvrage posthume qu'il avait écrit avec Bertrand Dicale, j'ai pu (grâce à Babelio et son opération Masse critique) que j'allais approfondir ma connaissance de l'ex chanteur de Taxi Girl, ce poète écroché rattrapé in fine par ses démons, puisque parmi tous les livres que j'avais sélectionné dans cette sélection pléthorique, c'est le V2 Sur Mes Souvenirs- à la recherche de Daniel Darc" écrit par un certain Pierre Mikaïloff, un ouvrage sorti en début de ce mois de février aux éditions du Castor Astral qui m'a été attribué par je ne sais quel hasard.

Et ce qui est aussi assez amusant, c'est que si j'avais déjà lu très récemment un livre sur Darc, j'avais également fait connaissance avec l'auteur Pierre Mikaïloff, puisque il est l'auteur d'une biographie de Noir Désir, et que j'en ai  d'ailleurs touché quelques mots à  l'occasion de mon billet sur Bertrand Cantat.

Et hasard et coeïncidence de mes lectures, je me suis aperçu que dans ma PAL ornant ma bibliothèque trainait un beau livre consacré au groupe "Téléphone, Ca c'est vraiment eux", et que s'il est l'oeuvre de l'immense photographe Pierre Terrason pour les photos,  devinez qui s'occupe des textes? Evidemment, Pierre Mikaïloff lui même!!!

Bref, devant ces 3 ouvrages, je me suis dit que Pierre PIERRE MIKAÏLOFF n'était quand même pas n'importe qui dans le monde du journalisme rock, et encore moins lorsque j'ai appris que ce journaliste conférencier avait écrit des polars (Tournée d’adieu, aux éditions La Tengo) et qu'il  est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages, parmi lesquels des nouvelles, de la poésie, un roman noir, deux fictions musicales, un essai sur la culture punk, Le Dictionnaire des années 80 aux éditions Larousse et plusieurs biographies de référence, dont celle d’Alain Bashung, de Noir Désir, de Françoise Hardy, de Jane Birkin et de Daniel Darc.

Et surtout la chose la plus étonnante concernant PIERRE MIKAÏLOFF, c'est certainement qu' avant d'embraser la carrière de journaliste rock, il était lui même de l'autre coté du manche (de la guitare),  puisqu'il a été guitariste professionnel, notamment pour le groupe Les Désaxés (qui ont connu un certain succès dans les années 80), et de l'immense Jacno, un des plus grands mythes du rock francais des années 80, et incarnation avec Daniel Darc, de ce milieu où la came, l'alcool et les filles étaient légion.

Bref, j'ai trouvé le personnage vraiment passionnant , bien suffisament pour avoir envie d'en savoir plus sur lui,  et comme j'avais ses coordonnées dans mon carnet d'adresse je n'ai pas manqué de lui demander si je pouvais lui envoyer quelques questions par mail, ce à quoi il m'a répondu par l'affirmative dans les 10 minutes suivantes..

Et figurez vous qu'il a été pratiquement aussi rapide pour pour répondre à mes 10 questions un peu introspectives qui permettent de connaitre un peu mieux ce pionnier du journalisme rock : 

ITW exclusive Baz’art avec Pierre Mikaïloff, journaliste et écrivain

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>Blog Baz'art : Tout d'abord, je voulais vous remercier chaleureusement Pierre d’avoir bien pris la peine de répondre à mes questions pour les lecteurs de Baz’art…

Voici les 10 questions que j’aimerais vous poser, des questions transversales à toutes les œuvres que j’ai pu lire sur vous :

 1. Vous êtes un des rares journalistes rock qui a été musicien professionnel dans des groupes de rock. Comment en quelques mots, passe t-on d’une carrière de rockeur à celle de journaliste et écrivain ? Et n’éprouvez vous pas, au fond de vous une certaine amertume d’avoir abandonné une carrière forcément plus fantasmagorique - du moins dans l’imaginaire collectif - de rockeur ?

 PIERRE MIKAÏLOFF:

Dans les deux cas, « rockeur » ou « écrivain », il ne s’agit pas vraiment d’une carrière. Juste de circonstances et d’envies. J’ai d’abord fait partie de groupes parce que c’était ça qui était important dans mon adolescence. Plus même que de jouer d’un instrument particulier, il fallait appartenir à un groupe, vivre cette expérience collective, essayer de faire partie du « truc ». Le « truc » en question était ce que décrivaient ces articles de Best et de Rock & Folk que je dévorais chaque mois. Pour ce qui est de la littérature, c’est un cheminement parallèle. D’autant que certains des rock critics que je lisais écrivaient très bien. Je dirais même que mon approche du rock passe par l’écrit. Au bout d’un moment, l’écoute d’un disque est presque devenue secondaire. Je préférais lire ce qu’en pensaient Philippe Manœuvre, François Gorin ou Laurent Chalumeau. C’était souvent bien plus intéressant que le disque lui-même ! Mais pour vous répondre : oui, c’est moins excitant d’être assis huit par jour devant son ordinateur que de partir en tournée avec quatre olibrius qui sont à la fois des partenaires et des amis, et tout ce que ça suppose de fun et de folie. Cela dit, j’avais besoin d’écrire. C’était vital pour moi et, à un moment, je suis passé à l’acte.

 2. Est que vous avez le sentiment que le fait d’avoir été guitariste pro vous donne une légitimité aux yeux des artistes, notamment en abordant des questions plus techniques que des journalistes qui n’auraient pas votre background ?

 PIERRE MIKAÏLOFF:

Aux yeux des artistes, je ne sais pas. Mais c’est vrai qu’ayant signé en tant qu’artiste des contrats avec des maisons de disques, des producteurs, des éditeurs et des tourneurs, je comprends bien les problématiques économiques d’une carrière de musicien. (Mince ! J’ai utilisé le mot « carrière ».) C’est vrai aussi que j’ai une passion pour les instruments : les guitares, les synthés, les amplis, le matériel de studio… Ces outils me fascinent et je m’attarde peut-être plus sur eux que d’autres biographes. Maîtriser l’aspect technique des choses aide à comprendre, je crois, l’aspect artistique. « On reconnait le bon ouvrier à ses outils… » Je crois qu’il y a un proverbe comme ça et ça peut s’appliquer aux musiciens. 

 3.  Vos livres ont en commun de ne pas être de simples autobiographies factuelles, mais plutôt un mélange d’autofiction et de biographie éclatée.  Pourquoi un tel parti pris et avez-vous toujours de quoi articuler vos souvenirs personnels par rapport au sujet de votre livre ?

 PIERRE MIKAÏLOFF:

Autofiction, je n’irais pas jusque-là. Je m’en voudrais d’infliger à mes lecteurs le menu de mon petit déjeuner ou le récit de mon dernier traumatisme sexuel. En revanche, c’est vrai que lorsque je parle d’artistes qui sévissent depuis les années 1980, c’est forcément lié à mon vécu. J’ai des souvenirs précis de l’impact de leurs disques, de leurs concerts. Ma connaissance n’est pas que livresque et ça me sert à rendre mes livres plus vivants. J’aime aussi remettre un artiste dans son contexte historique. Un exemple : l’arrivée des radios libres change complètement la donne. Quinze ans avant l’Internet, elles ont permis à des tas d’artistes undergrounds d’élargir leur base. Le rock sous Giscard, et le rock sous Mitterrand, ce n’est pas la même chose. Il faut expliquer ça aussi quand on parle de Téléphone, de Bashung, de Noir Désir…  

 4. À propos du sujet des ouvrages abordés, est ce toujours vous qui prenez l’initiative de l’artiste sur lequel vous allez faire un livre ou bien est-ce parfois une commande de l’éditeur ? Si c’est le cas, est-ce que vous refusez parfois certains livres au motif que l’objet du livre est trop éloigné de vos gouts musicaux ?

 PIERRE MIKAÏLOFF:

 Les sujets des biographies naissent d’un dialogue entre l’éditeur et l’auteur. Parfois, l’éditeur propose le sujet à l’auteur, parfois c’est l’inverse. J’accepte de faire une biographie si je porte un intérêt particulier à l’œuvre de l’artiste, si j’estime que son parcours est intéressant, s’il a des fêlures, des zones d’ombre, et si je pense que je peux apporter un éclairage inédit. Si le sujet ne m’intéresse pas, je décline. Je ne saurais pas faire ça bien. Ça n’aurait aucun intérêt. Je ne suis pas un mercenaire. 

 5. Lorsque vous écrivez une biographie sur un groupe ou un artiste, est-ce que vous prenez connaissance des autres biographies écrites sur le même sujet  (je pense notamment au bouquin de Marc Besse sur Noir désir ou à celui de Bertrand Dicale sur Daniel Darc) pour vous en nourrir ou vous en écarter, ou bien au contraire vous ne voulez surtout pas vous laisser influencer par d’autres écrits ?

 PIERRE MIKAÏLOFF:

 Tout dépend de l’artiste, lorsque j’écris Les Beatles pour Les Nuls, avec Jean-Eric Perrin, je ne lis pas tout ce qui a été écrit sur les Beatles depuis 1964. J’y serais encore dans trente ans ! En revanche, j’ai lu avec beaucoup d’intérêt ce qui a été écrit sur Alain Bashung et Noir Désir. Pour Daniel Darc, c’est un peu différent, car, malheureusement, Daniel est parti avant que ses entretiens avec Bertand Dicale ne soient parvenus à leur terme. Je ne peux donc juger de ce que le livre aurait pu ou dû être. Mais plus généralement, je ne suis pas influencé par les écrits de mes confrères. Je peux y vérifier des détails factuels, mais ça ne modifie pas mon opinion sur un artiste ni la façon dont je veux traiter sa biographie. Les biographes ont des sensibilités trop différentes pour vraiment s’influencer. Comment voulez-copier le style de Lester Bangs ?...   

 6. La plupart des artistes sur lesquels vous avez écrits ne sont plus en activité, soit du fait de leur décès (Bashung, Darc) soit du fait de la séparation de leurs groupes (Téléphone, Beatles)… Est-ce un choix délibéré de votre part, pour inclure un peu de nostalgie dans vos récits ou bien une simple coïncidence ?

 PIERRE MIKAÏLOFF:

 Il y a un truc très simple, c’est qu’un artiste doit avoir une œuvre derrière lui pour m’intéresser, pour que je trouve matière à écrire. Écrire 300 pages sur quelqu’un qui vient de sortir son premier album me paraît difficile. Ou alors, il faudrait que ce soit un génie. Et je n’en ai pas rencontré récemment… Mais j’ai aussi écrit sur Jane Birkin et Françoise Hardy, qui publient régulièrement de nouveaux albums. Si nostalgie il y a, elle n’est pas de mon fait. J’ai un regard parfois assez froid sur les évènements, je ne me laisse pas emporter par le côté émotionnel qui pourrait fausser mon jugement. La nostalgie est amené par le regard du lecteur, qui va se remémorer où il était et ce qu’il faisait la première fois qu’il a écouté « Gaby », l’album blanc des Beatles ou « Hygiaphone »… Mais je ne fais pas partie de ceux qui pensent que c’était mieux avant !

Ma rencontre avec Pierre Mikaïloff, le rockeur qui sait manier si bien la plume...

  7. Parallèlement à vos biographies musicales, vous avez écrit un roman noir Tournée d’adieu, aux éditions La Tengo…et certains de vos artistes de prédilection s’inspiraient beaucoup de ce genre de littérature pour leurs textes ou compositions ? Voyez vous un lien direct entre le roman noir et le rock et, si oui, lequel ?

 PIERRE MIKAÏLOFF:

Historiquement, si on devait rattacher le polar à une musique, ce serait bien sûr le jazz. Mais les auteurs de polars actuels ont grandi en écoutant du rock et cela transparaît dans de petits détails. Des paroles de chansons sont parfois citées, un des personnages écoute un CD de tel groupe, etc. Mais il n’y a pas de lien stylistique évident entre le rock et le polar. En revanche, il y a des thèmes communs : la dope, le sexe, l’alcool, la vie en milieu urbain, la loose… Le polar me passionne parce que c’est le meilleur témoignage dont on dispose sur notre société. On y trouve tout ce qu’on ne peut pas dire dans les journaux et tout ce que la littérature « sérieuse » ne traite pas. Le lien, c’est peut-être que le rock et le polar donnent la parole aux sans-voix. C’est ce qui m’intéresse.

 8. Prenez vous autant de plaisir à l’écriture d’une biographie musicale que d’un roman, malgré les contraintes inhérentes ?

  PIERRE MIKAÏLOFF:

Il n’y a pas de plaisir dans l’écriture ! C’est du travail. Et un travail ingrat, difficile, lent… Et pour l’écriture d’un roman, c’est encore pire. Si on possède un tant soit peu de lucidité, on sait que si l’on veut produire un résultat un tant soit peu lisible, eh bien, il va falloir s’atteler à son ordinateur pendant des mois, des années, à raison de dix heures par jour. Alors que dehors, dans la « vraie vie », vos amis sortent, s’amusent, dépensent leur argent, tombent amoureux… Pendant ce temps, vous restez à vous demander jusqu’à trois heures du matin si ce putain de paragraphe aurait plus d’impact au passé composé ou au passé simple. Alors, le plaisir… Je dois être complètement masochiste !

 9. Voyez-vous des points communs entre tous les artistes sur lesquels vous avez écrit ? Et si oui lesquels, le même souci d’intégrité par rapport à leurs œuvres ? Le même besoin d’être reconnu par le plus grand nombre tout en restant justement intègre et ne pas se faire manger par le système ?

  PIERRE MIKAÏLOFF:

S’il y a un point commun, et c’est celui que je trouve très beau, c’est le refus de suivre la voie qu’on avait tracée pour eux. Jean-Louis Aubert, fils de sous-préfet, aurait dû faire science-po et terminer haut fonctionnaire. Et pourtant… Bashung, issu d’un milieu modeste, aurait dû mener une vie grise de comptable dans un bureau poussiéreux. Lui aussi a refusé ce scénario. Ce qui est beau et qu’il faut raconter, c’est cette envie et cette capacité, qui existe chez certaines personnes, de vivre leurs rêves. Une phrase qui revient, chez les artistes sur lesquels j’ai travaillés, c’est : « J’avais un rêve, je l’ai réalisé ». Si le lecteur devait retenir un message en refermant une bio, c’est : vivez vos rêves ! Rien n’est impossible, contrairement à ce que l’école et les parents enseignent aux enfants. Tout est une question de volonté, de foi en soi. Mais il faut aussi de l’endurance, parce que dès l’instant où vous décidez de sortir du rang, vous devez convaincre la Terre entière de votre légitimité. Cette foi en leur rêve, c’est le point commun de tous les artistes sur lesquels j’ai écrits.

Ma rencontre avec Pierre Mikaïloff, le rockeur qui sait manier si bien la plume...

 10. Parmi tous les artistes qui ont fait l’objet d’un de vos livres, pouvez-vous dégager la rencontre qui serait la plus forte en termes d’émotions ?

  PIERRE MIKAÏLOFF:

Daniel Darc, évidemment. Parce qu’on est de la même génération. Parce qu’on avait en partie le même parcours. Parce qu’il était désarmant, touchant, talentueux… Et qu’il est allé au bout de ses envies, de ses rêves.

 Encore une fois  PIERRE MIKAÏLOFF un très grand Merci à vous !! Et pour ceux qui ont aimé l'itw, revenez sur mon site dans quelques heures, je prolonge le plaisir de la rencontre...

crédit photo : Céline Guillerm.


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