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Chrétiens et marxistes complémentaires ?

Par Alaindependant

Sur [le] plan des méthodes et des moyens,

chrétiens et marxistes s'opposent surtout non par

l'esprit qui les anime mais par sa perversion. Sans

aucun doute serait incompatible avec un christianisme

authentique un marxisme qui prétendrait

que le changement de l'homme est possible par le

seul changement des structures. Sans aucun doute

serait incompatible avec un marxisme authentique

un christianisme qui prétendrait résoudre les problèmes

historiques par une simple prédication

morale et une charité artisanale.

L'efficacité historique exige que l'on s'attaque

à la fois aux structures et aux consciences. Il est

vrai que le marxisme historique a toujours eu une

certaine propension à mettre trop exclusivement

l'accent sur le premier terme, et le christianisme

historique l'accent sur le second. N'est-ce pas là le

signe d'une complémentarité nécessaire? Mais si

nous ne voulons pas qu'une telle rencontre se situe

simplement au niveau des « appareils », à partir

d'une confortable reconnaissance de 1' «irréductibilité

» ou de 1' « incompatibilité » définitive des

visées fondamentales de chacun, ce qui ne laisse

plus place qu'à des alliances tactiques, diplomatiques,

provisoires, et interdit la construction commune

d'un avenir à long terme, il faut reconnaître

que la logique du dialogue implique des contraintes.

Il n'est pas vrai qu'un dialogue est possible entre

un chrétien intégriste et un marxiste dogmatique :

c'est la loi du dialogue d'obliger les intégrismes et

les dogmatismes au recul. C'est d'ailleurs ce qui

fait sa fécondité.

Une authentique et humaine rencontre exige de

chacun des partenaires un profond changement de

lui-même, non pas au sens où l'on demanderait au

chrétien de n'être pas chrétien ou de l'être moins,

ou au communiste de n'être plus communiste ou de

l'être moins, mais en ce sens que cette rencontre

exige de chacun qu'il sache distinguer, dans sa propre

attitude, ce qu'il y a de fondamental et ce qui

découle des formes culturelles ou institutionnelles

que le christianisme ou le marxisme ont pu prendre

au cours de leur histoire. Non pour leur reprocher

naïvement d'avoir été historiquement conditionnés,

mais pour leur demander d'en prendre

conscience, de considérer que ce risque est toujours

actuel, et de nous aider mutuellement, à partir

d'une distanciation critique à l'égard du passé, qui

est notre trace, à construire ensemble l'avenir, qui

est notre dessein.

Il existe un stalinisme chrétien comme il existe un

cléricalisme marxiste. L'un conduit aux inquisitions

et aux Syllabus, l'autre aux socialismes bureaucratiques

et despotiques.

Nous ne pouvons nous libérer de nos perversions

que par cette permanente et réciproque interpellation

de ce que chacune de nos communautés porte

en elle de meilleur.

A un moment où l'homme atteignant pourtant un

sommet de puissance l'espoir semble partout vaciller,

il est à la fois nécessaire et possible que nous

unissions nos efforts pour une tâche qui n'est rien

moins que réorienter l'histoire humaine.

La plus grande révolution reste à faire.

Nul d'entre nous ne peut la faire seul.

Ce serait un malheur historique que nous ne la

fassions pas ensemble.

Roger Garaudy

Dernières lignes de Reconquête de l’espoir

Janvier 1971. Editeur Grasset


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