En 2011-2012, les enjeux cyberstratégiques obtenaient leurs lettres de noblesse et maints états publiaient tour à tour leurs stratégies de cybersécurité. À cette époque, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France faisaient grand cas des très populaires routeurs Huawei et ZTE (made in China) alors soupçonnés d'ouvrir des portes dérobées (backdoors) dans les réseaux d'Oncle Sam et du Vieux Continent et d'être des vecteurs du cyberespionnage chinois.
En réalité, cette démarche relevait à la fois de la guerre informationnelle et du protectionnisme : l'Europe a une insignifiante industrie des routeurs et la firme américaine Cisco fait face à l'âpre concurrence chinoise sur le marché mondial. Par ailleurs, n'importe quel professionnel de la cybersécurité démontrerait par A+B qu'un routeur Cisco ni n'est plus ni moins nativement sécurisé qu'un routeur Huawei et vice-versa.
Depuis l'affaire Snowden et les multiples révélations de la surveillance internet & télécoms exercée à l'échelle mondiale par la NSA (avec ou sans le consentement des opérateurs télécoms, des infomédiaires Google, Yahoo!, Microsoft, Apple, des réseaux sociaux Facebook, Linkedin et Twitter, et via les câbles transocéaniques), il convient désormais de voir les choses tout autrement et de jeter un oeil parfois inquiet à son smartphone Android, à son iPad, à son routeur Cisco... et à Google Glass.
À ce jour, la firme de Moutain View met la dernière main à Google Glass et tout porte croire que cette petite merveille évoquant peu ou prou un gadget conçu par Mister Q pour James Bond, sera un immense succès commercial, de surcroît compatible avec les solutions Android (made in Google) détenant 82% de part de marché dans les smartphones et 70% dans les tablettes en 2013. Pour ma part, j'apprécie particulièrement les API de reconnaissance faciale pour Google Glass.
Dès lors, de nombreux états, réellement ou prétendument furieux d'être massivement cyberespionnés par la NSA, seront inondés de lunettes multimédia fabriquées et synchronisées par Google, l'une des plus grosses boîtes noires du renseignement américain. L'Europe, la Chine, la Russie, le Brésil et consort seraient de factofortement tentées de considérer cette innovation de Google et sa position dominante sur les systèmes d'exploitation mobiles comme un atout-maître du renseignement américain à l'intérieur de leurs frontières... et d'instaurer de drastiques mesures cybersécuritaires, protectionnistes, et parfois liberticides ou nuisibles pour l'innovation.
Malheureusement, toutes ces nations sont confinées à la défensive car elles ne disposent guère d'industries informatiques et télécoms aussi férocement innovantes et pervasives que celles américaines et ne peuvent à ce jour « faire la nique » à la NSA, faute de moyens financiers et technologiques et/ou de volonté politique. Récemment, Angela Merkel a récemment formulé le voeu très pieux d'un Internet européen étanche aux tentacules et aux chevaux de troie du renseignement américain. Comment ne pas admirer une telle hypocrisie quand on sait que le GCHQ (version britannique et subdivision historique de la NSA) espionne les réseaux européens à volonté et que de nombreux gouvernements européens – Allemagne en tête – coopèrent sereinement avec la NSA pour de bonnes et de mauvaises raisons ?
Je peux parier mon argent que le renseignement américain a déjà intégré Google Glass et peut-être l'iWatch (la montre intelligente made in Apple) dans sa stratégie SIGINT car ces innovations consacreront littéralement la cybersurveillance multimédia et virale en temps réel. On peut presque dire que la NSA en a rêvé, Google Glass l'a fait.