Il ne fallait pas en parler, il ne fallait pas l’évoquer, il ne fallait même pas y penser. Mais voilà, entre les conclusions d’une Cour des Comptes décidément sans pitié et les besoins de plus en plus pressant de réforme, le MEDEF a lâché le morceau : selon lui, le régime des intermittents du spectacle coûte bien trop cher pour pouvoir être conservé en l’état. Ouragan immédiat, total et de force 5 sur le PAF d’Aurélie Filippetti, l’onomatopée rigolote en charge du ministère de l’Aculture.
Le Medef a une attitude encore plus agressive et scandaleuse que celle qui consiste à cotiser 200 millions d’euros pour en toucher 1 milliard en retour sur le dos des autres salariés ! Il veut tuer la culture, cette culture que le monde nous envie mais n’a que foutre. Je n’accepte pas les attaques de ce type contre des personnes, artistes et techniciens qui, s’ils se mettent en grève, me coûteront mon maroquin, d’autant qu’ils sont derrière les caméras, les pupitres de régie, les rotatives, les micros. Difficile d’exister médiatiquement sans eux ! Et puis, économiquement, on a besoin des intermittents comme le pendu de sa corde, enfin voyons ! D’ailleurs, quand vous investissez un euro dans un festival ou un établissement culturel, vous avez de 4 à 10 euros de retombées économiques pour les territoires. Oui oui, sans mentir sur la vie de ma mère je te fais un fois-quatre à fois-dix avec mon investissement dans le festival, j’te jure !
Oui, certes, je romance quelque peu les paroles de l’Onomatopée. Mais je vous assure que je n’ai pas détourné les idées de base : elle a bien effectivement comparé la disparition (pour le moment hypothétique) du statut d’intermittent du spectacle avec la mort de la culture, persuadée qu’elle est sans doute qu’avant la mise en place de ce statut, la France était un désert culturel (alors que depuis, la vigueur de la production française, qui sert maintenant de référence partout dans le monde, ne laisse aucun doute).
Eh oui, elle a aussi clamé que pour un euro d’investissement dans un festival ou un établissement culturel, les retombées étaient de 4 à 10 euros pour les territoires, ce qui est bel et bien un retour sur investissement de 400 à 1000%. C’est, évidemment, complètement impossible, et il n’y a pas à chercher longtemps pour comprendre que la pauvrette mélange des choux et des carottes, les bénéfices retirés par les commerces périphériques à un festival ne pouvant être mis au même plan que l’argent qui aura été dépensé pour l’événement et qui devra trouver sa rentabilité au travers des places, de sponsors publicitaires, ou, plus probablement en France, d’une bonne grosse subvention joufflue. Et si les spectacles en France étaient, en général, bénéficiaires avec ce genre de rentabilité (qu’on ne doit même pas trouver à Hollywood), je crois que tout le monde se précipiterait pour investir d’une façon ou d’une autre.
On constate encore une fois que les intérêts bien compris de la ministre n’ont pas grand-chose à voir avec l’intérêt général, notion floue depuis longtemps enroulée dans son petit mouchoir en dentelle monogrammée oublié au fond d’un tiroir républicain, bien loin des yeux et de ses préoccupations immédiates.
L’intérêt général, elle s’en contrefout. D’abord, c’est qui ? Ce n’est pas lui qui la paye, hein ! Et puis ce n’est pas l’intérêt général qui va lui assurer son poste encore trois ans, ni même lui garantir une rente de député. Alors que si elle brosse dans le bon sens les intérêts de gros groupes acoquinés à l’État, elle pourra sans doute piloter sa carrière pour terminer proprement, comme par exemple une Albanel recyclée à l’un de ces juteux emplois fictifs. Et pour s’assurer un tel poste, il ne faut surtout pas tacher sa réputation générale et mettre en danger les éventuelles relations commerciales qu’elle pourrait avoir dans le futur, avec en face d’elle et selon de fortes probabilités l’un ou l’autre intermittent du spectacle dont le statut, justement, est à l’étude actuellement.
Autrement dit, il est plus qu’urgent de ne pas faire de vague à son poste pour s’en ménager un plus tard. Et pour éviter les vagues, la dernière chose qu’on veut, c’est regarder la réalité en face.
Cette réalité, décortiquée par la Cour des Comptes à de multiples reprises, a montré sans ambiguïté que le statut des intermittents était ultra-favorable, et ce en dépit (et à cause) d’un déficit – qualifié de structurel par les magistrats – qui avoisine le milliard d’euros tous les ans depuis 10 ans. Et cela se traduit par le constat, là encore très critiquable, que les intermittents quittent pour la plupart d’entre eux leur situation de travail quelques jours après avoir effectué le nombre de jours nécessaire pour être titulaires de droits, et qu’ils retrouvent souvent une activité au moment où ils ont épuisé leurs droits. Comme c’est commode !
Cette réalité, Orélifilipéti ne veut pas la voir, et surtout, elle ne veut pas la combattre. Peu importe que les salariés payent pour le différentiel, cette petite musique lui est désagréable. Peu importe qu’une inégalité supplémentaire vient miner une fois de plus le pacte républicain ♬ tagada ♪ qui devrait permettre la solidarité intergénérationnelle ♫ tsoin tsoin ♪. Si l’onomatopée ministérielle était là pour combattre les inégalités réelles, palpables et constatées, ça se saurait.
En réalité, l’actuelle ministre de la Culture montre ici pour qui elle roule : sa chapelle de paroissiens cultureux enivrés de subventions et d’argent des autres. Elle montre ici quel intérêt elle défend : le sien, bien compris, qui sur le long terme imposera de ne surtout pas faire de tort à ses ouailles. Elle montre ici n’avoir absolument rien à faire de l’équilibre des comptes, de la simple décence élémentaire de demander à tous de faire les mêmes efforts en temps de crise.
Et s’il faut continuer à spolier les autres salariés pour protéger les intermittents, eh bien, qu’à cela ne tienne.
—-
Sur le web