En principe destiné à améliorer la solidité des banques, le ratio de liquidité pourrait aboutir au résultat inverse. Il a par ailleurs tendance à compliquer le financement de l’économie, sans parler de ses effets procycliques.
Suite à l’adoption des réformes dites de Bâle III, les banques se conforment au nouveau ratio de liquidité à court terme (Liquidity Coverage Ratio – LCR). Loin de susciter une levée de boucliers dans les banques françaises, le LCR va, au contraire, être respecté en avance de phase par rapport au calendrier réglementaire. En effet, la plupart des banques françaises se préparent à publier un LCR à 100 % en 2015 voire dès 2013 pour certaines, alors que la réglementation impose 60 % en 2015 et une progression régulière pour atteindre les 100 % en 2018.
Comme 10 ans auparavant avec les IFRS, les banques vont appliquer les décisions internationales sans avoir pu imposer leurs convictions. Souvenons-nous que, dans les années 2003-2004, les banques françaises avaient un peu traîné des pieds pour appliquer les IFRS avant de s’y conformer, in fine, sans trop lutter. Pourtant, elles avaient déjà souligné à l’époque le caractère procyclique de cette réforme comptable. Le principal grief concernait la comptabilisation à la valeur instantanée de marché (fair value). En effet, si cette pratique se prête bien à certains actifs de marché (liquides), elle n’est pas pertinente pour tous les types d’instruments. Ă€ titre d’exemple, la norme permet aux banques de réévaluer leurs passifs au prix de marché, ce qui signifie que plus une banque est en mauvaise santé avec une dette qui se déprécie sur le marché, plus son résultat s’améliore par l’effet de la prise en compte de cette baisse de valeur dans ses comptes.
Un ratio très contestable
Aujourd’hui encore, l’histoire se répète. Les banques vont appliquer le LCR sans conviction et uniquement par peur des conséquences sur leur réputation. Publier un LCR à 100 % devient la norme. Les banques qui ne seront pas au rendez-vous risquent d’être pénalisées dans leurs accès aux marchés. Elles pourront emprunter moins de liquidités, qu’elles paieront plus cher. Tout comme les IFRS n’ont pas empêché la faillite de Dexia, le LCR ne protégera absolument pas les banques d’une banqueroute par manque de liquidité. Ce nouveau ratio a été conçu pendant la crise financière pour répondre à un contexte particulier – dit idiosyncratique – cumulant des facteurs de crises systémiques et spécifiques : conditions extrêmes qui se sont produites en Grèce uniquement et qui ne se reproduiront probablement (et heureusement) jamais. Le LCR compare la réserve de liquidité aux flux financiers prévus dans le mois (inflows-outflows). La réserve de liquidité étant constituée d’actifs dits liquides. La mise en Ĺ“uvre de ce ratio soulève plusieurs questions :
- Tout d’abord, ce ratio n’est pas un indicateur fiable. Par exemple, en plaçant en réserve de liquidité le montant d’un emprunt à plus d’un mois, la banque améliore artificiellement son LCR. Bien entendu, cet artifice est limité par le ratio de levier mais illustre bien le paradoxe du LCR : plus on emprunte, plus on améliore son ratio de liquidité et plus on dégrade sa rentabilité. Plus largement, le LCR incite à arbitrer entre éligibilité à la réserve de liquidité et rentabilité, ce qui va fragiliser les banques sur le long terme. Par exemple, d’un point de vue LCR, les banques n’ont plus du tout intérêt à commercialiser des assurances vie ou des OPCVM puisque cette collecte sort de leur bilan et n’entre donc pas dans la réserve de liquidité. Or, ces produits sont rentables (ils rapportent des commissions souvent plus intéressantes que le produit d’intérêt d’un livret ou d’un DAT).
- Les critères d’éligibilité des actifs à la réserve de liquidité sont parfois surprenants et dépendent du régulateur local. En conséquence, certains actifs détenus par une Banque ne sont pas éligibles pour cette banque mais peuvent l’être pour un autre établissement (par exemple dans un autre pays). Les banques vont donc faire des swaps d’actifs afin d’échanger entre elles ces actifs et gonfler ainsi leur réserve.
- La classification entre les segments de risques Bâle III « PME » d’une part et « ENF » d’autre part se fait notamment par rapport à l’encours de passif (seuil de passif à 1 million d’euros). D’un arrêté à l’autre, un client (entreprise) peut donc se retrouver classé dans l’une ou l’autre des catégories et donc pondéré différemment, alors que son profil de risques ne change pas. De la même façon, la pondération des titres dépend de la notation de l’émetteur. Ce qui replace les agences de notation dans un rôle prépondérant, alors même que leur rôle avait été vivement critiqué dans la crise de 2008.
- La CRR (transcription de Bâle III) présente des incohérences avec l’IFRS 9. Certains titres comptabilisés en HTM (détenus jusqu’à maturité) sont pourtant éligibles à la Réserve de liquidité (donc considéré comme liquide) !
- Enfin, comme les IFRS, le LCR va avoir un contre effet procyclique. En ne prenant pas en compte les obligations bancaires dans la réserve de liquidité, la règle exclut toutes les émissions corporate qui se font via leur filiale captive bancaire (ce qui est le cas de plus en plus d’émissions). Or, les règles de solvabilité de Bâle III vont réduire la capacité de financement des Banques. Si dans le même temps, le ratio de liquidité limite aussi leur capacité à investir en obligations corporate, les entreprises vont avoir de plus en plus de mal à trouver des sources de financement pour soutenir leur développement.
Ce ratio de liquidité court terme a été élaboré par le régulateur en raison du syndrome Northern Rock. Le modèle économique reposait sur une transformation à outrance. La banque anglaise finançait sur le marché monétaire une part importante de ses prêts hypothécaires. Pour éviter un nouveau Northern Rock, le régulateur oblige la totalité des banques, y compris les banques disposant d’un matelas important de dépôts clientèle, à vivre en état de stress d’une manière permanente.
En outre, la réserve de liquidité imposée dans le cadre de ce ratio est loin de représenter une assurance tous risques pour le système bancaire, en effet la notion de « titres liquides » et « de bonne qualité » élaborée par le régulateur est également très contestable. L’histoire récente a prouvé que des titres notés AAA par les agences ou des obligations émises par des états européens et bénéficiant donc des meilleures pondérations pouvaient s’avérer en quelques jours complètement illiquides et générer des pertes très importantes.
En conséquence, il y a un vrai risque que les banques répercutent l’impact LCR sur les prêts à la clientèle afin de rémunérer le coĂťt lié à la constitution de la réserve de liquidité. Cela viendra s’ajouter au coĂťt en fonds propres pour rémunérer le risque de crédit. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour le financement de l’économie.
Ă€ l’inverse, côté passif, les banques risquent de se focaliser sur leur propre besoin (de liquidité) au détriment des besoins du client (par exemple, les établissements qui cherchent de la liquidité pourraient conseiller systématiquement de l’épargne bilantielle, même si l’intérêt du client allait vers des placements en assurance vie ou OPCVM).
Lien vers l’article publié sur Revue Banque
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