La semaine dernière, Ophélie vous a parlé de l'exposition de David Lynch à la Maison Européenne de la Photographie... Ce qu'elle ne vous a pas dit c'est que cette dernière se trouve sur un étage de cette maison se trouvant dans le Marais, les autres étages sont quant à eux dévolus à l'exposition « Joan Fontcuberta - camouflages ».
Joan Fontcuberta, "Orogenesis" Orogenèse: Derain, 2004.Tirage à développement chromogène. © Joan Fontcuberta
L'exposition ne se présente pas comme une monstration des travaux d'un artiste mais comme une exposition scientifique présentant les travaux, les recherches, la documentation et les découvertes de chercheurs, artistes ou journalistes. Joan Fontcuberta, artiste catalan né en 1955, nous entraîne dans les méandres de son imaginaire facétieux, ironique, drôle, interrogateur. Qu'est-ce qui nous est donné à voir ? La réalité ou un énorme bobard ? Il est facile de se laisser piéger par les images et histoires de Fontcuberta, elles sont documentées, analysées, elles sont étayées par des photographies et sont accompagnées par des témoignages, des dessins, des relevés topographiques, des enregistrements sonores, autant de preuves que ce qu'il montre est vrai. Non ?
Joan Fontcuberta, "Spoutnik" Portrait officiel du pilote-cosmonaute Iván Istochnikov, 1968. Tirage gélatino-argentique. © Joan Fontcuberta
Qu'est-ce qu'est sensée être la photographie sinon une représentation de la réalité ? Il utilise ce prérequis pour nous faire gober ce qu'il veut. Ainsi les sirènes existent... Ses photographies de constellations, ne sont-elles que cela ? En fait, il s'agit d'insectes écrasés contre son pare-brise qu'il a pris en photo. De nouvelles plantes sont photographiées, il les présente dans un herbier surréaliste, fantasmagorique et à forte connotation sexuelle. Plus loin, il présente les contextes de découvertes d'animaux extraordinaires. Dans la série « Orogenesis » sont-ce des photographies de paysages qui sont présentées ou autre chose ? En fait, ils s'agit de données entrées dans un programme informatique qui réalise des paysages on ne peut plus réalistes, invitation à découvrir des mondes virtuels mais réels mais faux mais vrais mais quoi, est-ce qu'on s'y perdrait ?
Y avait-il cosmonaute dans Soyouz 2 quand il a été lancé dans l'espace ? Oui d'après les documents présentés dans l'exposition mais cela a été caché à la presse à l'époque : dans le vaisseau il ne restait qu'une bouteille de vodka vide, un trou laissé par l'impact d'un petit météorite et le cosmonaute avait mystérieusement disparu, ce qui était plutôt gênant vous en conviendrez. Joan Fontcuberta a retravaillé des photographies et des archives journalistiques afin de les présenter comme des documents d'époque, et le cosmonaute Iván Istochnikov "revient" alors sous les traits de Joan Fontcuberta.
Joan Fontcuberta, "Sirènes" Squelette d'Hydropithèque. Baie de Portissol, Sanary sur Mer, 2012. Tirage à développement chromogène. © Joan Fontcuberta
Concernant l'existence des sirènes, il se présente comme un journaliste du National Geologic et présente des photographies de fossiles d'hydopithèques découverts vers 1950 par l'abbé Jean Fontcuberta dans la région de Digne-les-Bains. Les photographies sont accompagnées par un reportage filmé dans lequel une scientifique corrobore cette découverte. Il présente des photographies d'autres fossiles découverts entre autre dans la Baie de Portissol à Sanary-sur-Mer (j'y ai plongé, je n'ai sans doute pas bien regardé au fond) mais aussi l'un des fossiles qui a été extrait de son milieu d'origine.
Une dizaine de séries sont présentées dans l'exposition à la Maison Européenne de la Photographie, chacune nous fait croire autre chose : ces œuvres sont-elles crédibles ? Sommes-nous crédules ? Sommes-nous capables de laisser l'émerveillement prendre le pas sur notre scepticisme ?
Joan Fontcuberta, "Herbarium" Braohypoda frustrata, 1985. Tirage gélatino-argentique. © Joan Fontcuberta
L'humour est présent dans ses œuvres, elles proposent un autre regard sur le monde mais n'en sont pas pour autant futiles ou inutiles : « l'humour n'est pas important que pour l'art. Il l'est aussi pour la vie sous tous ses angles. Rire est un signe de santé et un baume pour l'esprit : mais plus que salutaire, c'est également un acte libérateur et révolutionnaire. Il suffit de se souvenir de Le nom de la rose d'Umberto Ecco, où les inquisiteurs tentent d'interdire le rire. Je revendique l'humour car c'est pour moi une manière d'introduire la critique. » nous dit Joan Fontcuberta qui a connu et subi la dictature franquiste pendant sa jeunesse.
Joan Fontcuberta, "Herbarium" Giliandra escoliforcia, 1984. Tirage gélatino-argentique. © Joan Fontcuberta
Cette exposition interpelle, elle nous incite à réfléchir à ce qui nous est donné à voir, Joan Fontcuberta se joue de nous avec ces œuvres mais cela va plus loin. Ces drôles de mensonge que l'on a vu là, est-ce qu'ils sont les seuls ? À nous d'exercer un regard critique sur ce que nous voyons au quotidien. En effet, pourquoi prendre pour argent comptant une image alors qu'elle n'est qu'un fragment, alors qu'elle peut avoir été manipulée, alors qu'elle ne dit jamais tout et qu'elle ne dévoile jamais toutes les facettes d'un problème. Les photographies de Joan Fontcuberta ont quelque chose d'inquiétant : elles nous immergent dans des univers incroyables, séducteurs, drôles mais elles sont aussi les reflets d'une société dominée par les images : « je conçois fondamentalement la photographie comme un outil pour penser la réalité et, par conséquent, nous parlons d'un propos qui va bien au-delà de l'expression personnelle et de la recherche artistique. Aujourd'hui, les images ne sont plus de simples représentations du monde, elles sont le monde. Il faut apprendre à vivre dans les images, mais il faut surtout apprendre à y survivre. (…) Selon Bill Gates, quiconque aspire à contrôler les esprits doit contrôler les images. » nous dit-il. À bon entendeur, belle découverte du travail de cet artiste qui utilise l'humour, l'étrange, la manipulation et le merveilleux pour nous amener à revoir notre façon d'envisager et surtout de voir, regarder et observer le monde.
Cécile.
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"Joan Fontcuberta - camouflages"
Du 15 janvier au 16 mars 2014
à la Maison Européenne de la Photographie
5/7 rue de Fourcy, 75004 Paris
Ouverture du mercredi au dimanche de 11h à 19h45
Plein tarif : 8 €. Tarif réduit : 4,50 €.