L’étranger
ou le pari de l’autre
de Tobie Nathan
© Éditions Autrement, Paris, 2014.
Extraits de l’avant-propos :
J’ai voulu ici parcourir la notion d’étranger du point de vue d’autres mondes…
La connaissance de ces « autres », de leur écologie, de leurs modes d’existence, de leurs intentions, de leurs exigences, passionne littéralement les humains. Mais les explorations auxquelles se livrent ceux des mondes éloignés prennent des chemins très différents des nôtres. Lorsqu’ils entreprennent une investigation de l’altérité, ils savent que l’esprit seul ne peut suffire. Pour appréhender un autre qui n’est pas un semblable, il faut lui céder notre corps et notre âme, du moins le temps de la rencontre.…/…
Extraits de la conclusion :
Pour recevoir les étrangers dans leur différence – non comme des semblables habitant ailleurs, mais comme des autres –, il nous faut garder à l’esprit ces quelques lois d’hospitalité.
Les lois d’hospitalité qui vont suivre ici découlent du constat de la différence. Ceux qui la nient seront possédés par la question de l’altérité, obsédés, incapables dès lors de penser par leurs propres moyens.
L’hospitalité se décline le long d’une cascade de questions que l’on peut poser ou, mieux encore, que l’on garde par-devers soi comme préalables indispensables, n’ayant de cesse d’y apporter une réponse.
– Qui es-tu ? Quel est ton être ? Autrement dit : quel changement dans le monde produit ton existence. En un mot : quel est ton nom ?
– Qui es-tu ? Qui est ton père ? Comment désigne-t-on ton ancêtre ? Non pas ton grand-père, le grand-père de ton grand-père, non ! Ton ancêtre ! Celui à partir duquel tu déclines les générations.
– Qui t’envoie jusqu’à moi ? Est-ce ta famille, ton groupe, ta nation, quelque invisible ? Dans quelle bouche a résonné mon nom ? Dans quel espace s’est répandu son écho ?
– Pourquoi viens-tu ? Qu’est-ce qui t’amène ici ? J’admets volontiers que tu ne saches d’emblée répondre à cette question. Accepte de la parcourir avec moi. Aide-moi à expliciter tes intentions.
Et voici la dernière des lois de l’hospitalité qui, à l’analyse, englobe toutes les autres : accueillir les étrangers, non par bonté, ni par humanité, ni en vertu d’une morale ou d’un commandement transcendant, mais comme on reçoit un signe, un message…
Dans la presse…
L’ethnopsychiatre Tobie Nathan n’est pas du genre à se laisser piéger par un mot. Dîtes "étranger" et il balaie d’un trait les histoires de frontières, de papiers, de culturalisme vs. universalisme, etc. Ce ne sont que de faux problèmes dans un monde qui "regorge de semblables". L’étranger radicalement autre, voilà le coeur du sujet de l’altérité. Tobie Nathan s’est donc aventuré chez les aliens, les djinns, les djinns, les esprits, ces autres véritables auxquelles les pensées traditionnelles savent demander : qui es-tu ? D’où viens-tu ? Pourquoi viens-tu ? Et nous voilà en pleine science fiction avec créatures à ventouses, phénomènes inexpliqués, panique de la science, ethnopsychiatre à la rescousse, le tout entrecoupé de réflexions issues d’un vieux mémoire de philosophes constructivistes. La démarche est risquée et l’auteur y avance à sa manière : oblique, érudite, avec de brusques plongées dans les abysses. Le résultat est, forcément, singulier.
Catherine Portevin dans Philosophie Magazine N° 72, mars 2014