« Ma demeure est dans mon cœur
Elle est nomade comme moi
Dans ma demeure vit le chant du joik
L'écho joyeux d'un babil d'enfant
Les grelots tintent au loin
Les chiens aboient
Le lasso siffle
Tout ceci c'est ma demeure
Ces fjords ces fleuves ces lacs
Ces gels ces soleils ces tempêtes
Ces montagnes côté nuit et côté jour
Peine et bonheur
Frères et sœurs
Tout ceci c'est ma demeure
Et je la porte dans mon cœur'. »
Nils-Aslak Valkeapää.MIGRANTE EST MA DEMEURE
(Nils-Aslak Valkeapää ,(Áillohaš en SÄME DU NORD),( 1943 /2001) écrivain, poète et musicien Finlandais de culture sâme.. On peut cliquer sur les liens ci dessous pour écouter les Joïks( chantes traditionnels) qu'il a composés
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« Pour un esprit non prévenu, la Laponie peut sans doute s'appréhender comme un désert, le point de départ occidental d'un paysage uniforme, alliant toundra et taïga, qu'on retrouve tout au long de la Sibérie septentrionale et dont la principale ressource serait la renniculture.
En fait, le paysage local est infiniment plus varié avec ses côtes maritimes et ses fjords, ses montagnes, ses plateaux, ses rivières et ses lacs. A côté de l'emblématique élevage du renne, il faut ajouter parmi les ressources traditionnelles : la chasse, la pêche, la cueillette, une agriculture et un élevage arctiques. Pourtant malgré cette diversité, il y a une certaine idiosyncrasie qui fait qu'on se sent partout en Laponie. Cette sensation augmente si on prête attention aux lieux-dits sâmes et aux traditions qui se rapportent à leur morphologie, tant par leur explication populaire que pour les comportements qu'on doit y observer. Cette sensibilisation d'unité est évidement exacerbée pour les Sâmes eux-mêmes qui ont toujours de la parenté familiale dans les régions avoisinantes. Elle est d'autant plus fascinante qu'on sait bien qu'à travers les aléas de l'histoire et de la géographie, il n'y a jamais eu d'identité sâme monopolisante. Ces populations dont on a noté l'extrême fluidité dans leurs modes d'adaptation, n'ont jamais développé un quelconque impérialisme normatif et ont toujours eu au contraire le souci d'un certain réalisme empirique consensuel. C'est pourquoi, même à l'intérieur d'une petite zone géographique, les différences culturelles peuvent être importantes en fonction des conduites propres à chaque mode d'exploitation des ressources naturelles et sociales, jusques et y compris dans les croyances et les représentations religieuses.
Ces différences et ces ressemblances dans la saisie de l'environnement sont cependant codées à l'intérieur d'un système sâme de pensée qui les fait interragir les unes en fonction des autres. Cela peut expliquer, par exemple, qu'au niveau muséal, les représentations Scandinaves et sâmes d'un même lieu peuvent être très opposées en fonction d'une sensibilité différente aux apparences du sensible. Là où les uns privilégieront le monumental, le grand âge ou l'importance sociale, les autres insisteront sur le rapport à la nature, l'expérience concrète immédiate ou le sens religieux. On a bien là affaire à deux types d'expériences radicales qui identifient de manière spécifique le paysage et l'environnement comme sâme.
L'appréhension sâme du paysage dépend de l'histoire, de l'ancienne sensibilité "chamanique" et religieuse au sens large, des légendes et de la vision politique que ce dernier recèle et révèle. » Christian Meriot.Tradition Et Modernité Chez Les Sâmes.L'harmattan.
La vie traditionnelle Sâmes s'est modelée selon les variations de ce milieu naturel. On distinguait habituellement trois groupes
« Ces idées se heurtent aux notions occidentales modernes de développement, synonyme de croissance économique, même si celle-ci pour être durable et "rationnelle" doit tenir compte d'une certaine protection du milieu - mais seulement dans ce cadre étroit. Il y a là pour elles une véritable contradiction dans les termes, étant donné que la croissance économique est sans fin comme ses exigences envers les ressources et les productions naturelles qui lui sont tout compte fait, asservies. Il n'est pas du tout sûr - et c'est ce qui inquiète les Sâmes et les autres minorités des nations "premières" - qu'un certain type de développement soit conciliable avec leur façon de conserver et de protéger la nature dans leur propre style traditionnel.
Ci dessus la colllection anthropométrique du prince Roland Bonaparte.expédition en Laponie(1884)
Plus que de la difficulté de concilier deux époques, il s'agit ici de la difficulté de concilier deux systèmes de valeur et de vision relatifs à nature. Pour le monde occidental, depuis ses sources judéo-chrétiennes (cf. Descartes, "nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature ") l'humanité, entité séparable des autres êtres naturels, a vocation et droit à la domination sur le reste du monde, puisque créée à l'image de Dieu. C'est d'ailleurs indûment qu'on parle dans cette philosophie de conception de la nature puisqu'on fait, cette philosophie n'est que l'expression idéologique de la manière dont l'humanité entend assurer son contrôle sur la nature. Cette dernière n'est pas conçue en soi, mais simplement à travers les grilles de la techno-science et de ses commodités opératoires. Ici, la nature n'est pas donnée à penser ou à contempler, mais seulement comme objet à transformer pour le simple profit, ce qui est une réduction de l'idée de rapports harmonieux globaux que l'humanité entretient avec elle dans la vision écologiste et traditionnelle de ces populations comme les Sâmes. Notre époque qui sent assez bien les périls auxquels son type de développement la conduit, essaie à tort et à raison, de chercher des solutions vers ces sociétés -parfois trop idéalisées - qui ont vécu depuis longtemps dans une certaine harmonie avec la nature. Il faut en même temps rester conscient que ces cultures "premières" se trouvent imbriquées dans un contexte social de contact avec d'autres cultures dominantes et dominatrices dans le monde contemporain. Aussi est-il peut-être difficile de retrouver les principes qui organisent les actions et les valeurs de ces populations au moment où leurs modes de vie traditionnels sont soumis à des changements aussi radicaux que ceux qui ont été introduits par les industries forestières et minières, les barrages hydroélectriques, les routes, le système économique mondialisé, l'arrivée de techniques révolutionnaires comme le scooter sur neige, un système scolaire généralisé, mais étranger à leur culture traditionnelle ou des emplois de type radicalement nouveaux.
Nous sommes bien en présence de deux systèmes de valeurs coexistant et s'interpénétrant plus ou moins, mais radicalement opposés en fait. L'un développe un concept de réalité, de rationalité, de vérité sans aucun rappel ou vision de l'idée de nature : seuls le profit, l'accaparement et la consommation importent tandis que l'autre porte son attention sur un système organique impliquant une croissance liée à une certaine vitalité. » Christian Meriot.Tradition Et Modernité Chez Les Sâmes.L'harmattan.
Les activités liées à la nature ont assuré (et assurent encore pour une part) la continuité de la culture sâme,son identité , les éléments de base de la vision du monde et du mode de vie, en un mot de la civilisation .
« Chez les Sâmes, comme plus généralement en Arctique, les manifestations centrales de la religion des chasseurs-pêcheurs sont (furent) une mythologie cosmogonique, une croyance en un maître des animaux et de la chasse, spécifique pour chaque espèce animale -l'un d'eux dominant toute la faune ou tout le cosmos. La religion du chasseur nomade inclut des dieux et des autels domestiques que l'on transporte avec soi dans son traîneau. Sur les itinéraires de transhumance naissent ainsi, au gré des saisons, des sites sacrés qu'évoquent encore les peintures et les gravures rupestres. Le fait que cet art préhistorique représente des figures animales et que l'on ait retrouvé des ossements de bêtes sur les lieux de sacrifices prouve que les hommes étaient dépendants, dans leur vie et dans leur religion, de ces animaux.
L'ours occupe dans cette religion sâme de chasseurs-pêcheurs une place prépondérante, puis est supplanté par le renne dans la religion d'éleveurs de rennes. Le changement décisif a lieu lors de la domestication du renne sauvage par l'homme arctique. Bien qu'il continue à chasser et à pêcher, son mode de vie et sa religion sont transformés. La religion de l'économie mixte et du nomadisme lié au renne voit naître des lieux de culte et de ressources, la vénération des esprits du maître et de la maîtresse, le culte familial, les dieux et les esprits du temps. Le culte commence à se préciser lorsque les lieux de transhumance et de pâturage, de rut, et de mise bas se sédentarisent. Le réseau de divinités et de sites sacrés s'étend à tous les territoires lapons et perdure au fil des saisons même quand la vie du village d'éleveurs de rennes se fixe. On ne connaît évidemment pas de sites sacrés de la religion préchrétienne sâme dans les villages car, lorsque les villages se forment, la religion officielle est déjà la religion chrétienne. L'église et la salle de prières, à l'est la tsasouna et le cimetière, se substituent aux cultes des monts sacrés ;le culte de la communauté lapone ou le siita est remplacé par la paroisse. Le seul culte qui ait persisté plus longtemps est le culte familial avec ses guérisseurs, ses présages, ses signes et ses traditions. » Mythologie Des Lapons. Juha Pentikaïnen. Imago.
L'environnement sâme traditionnel se composait non seulement de la réalité écologique observée, mais aussi de repères géographiques « sacrés », qu'il fallait respecter. Pour mettre la chance de son côté, le Sâme devait dans son comportement ne pas les oublier. Le terme « sacré » a pour origine la racine latine sacrumqui désigne un emplacement, un lieu ou un cadre de vie réservé aux dieux, distinct des espaces de la vie quotidienne des hommes, espaces « profanes », profanum(devant le temple). Dans les cultures judéo-chrétiennes, le site sacré, (temple église, Saint Du Saint) est toujours à l'écart, pur de toute contamination, d'où une méconnaissance des autres cultures. Pour l'Aborigène, l'Inuit ou le Sâme, en effet, un rocher reste un rocher mais il peut se dévoiler , pour les initiés aux mythe, comme une entité cosmique sacrée et dangereuse , quelque chose « d'absolument autre » tout en restant elle même .Chez les Sames, le sacré se localise par exemple dans une topographie des sommets(ailigas) qui entre dans des noms composés .On peut citer aussi Ukonsaari, « l'île d'Ukko », dans le lac d'Inari, lieu de sacrifice essentiel pour les Sâmes d'Inari. Dans ces sites, les membres de la communauté y pratiquaient des rituels. Venaient ensuite les lieux de culte utilisés par les membres d'un même « village » le siita, par les Sâmes péchant dans le même lac ou bien encore suivant les mêmes routes de transhumance. Enfin le culte familial à l'intérieur ou autour alentours de la kota (« tente »).Un des lieux de culte majeur sur le plan familial était le coin sacré de celle-ci où chaque famille conservait le tambour utilisé comme instrument de prédiction — lieu tabou pour les femmes .Si la christianisation fit disparaitre l'essentiel des cultes collectifs de la nature (églises construites sur les sites sacrés), le sacré familial persista beaucoup plus longtemps et reste vivace.
De nos jours l'appréhension sâme du paysage dépend encore pour une part de son histoire et de l'ancienne sensibilité "chamanique" et des mythes
Le cosmos de l'éleveur de rennes ou du chasseur n'était pas statique mais cyclique. L'homme l'appréhendait différemment suivant son habitat et ses alentours. Le nomade crée son propre monde dans une dimension profane-sacrée en mettant son dieu, son tambour et autres objets rituels dans son traîneau et en réinstallant sa kota sur un nouveau territoire. L'orientation de la kota était immuable, lorsqu'on montait la kota, on respectait un rite particulier qui tenait compte du cosmos et des points cardinaux. Le macrocosme de l'univers et le microcosme de l'individu composent ainsi la conception du monde. Initiés et instruments spécifiques permettent d'établir une passerelle entre le monde d'ici et l'au-delà. Dans la cosmologie, le tambour de sorcier mérite un chapitre spécifique car il comporte un savoir ésotérique, parti intégrante de la vocation du chaman, important pour le savoir cosmique bien que souvent difficilement interprétable. Même condamné à mort pour sorcellerie, le chaman refusait de divulguer ses secrets au commun des mortels et d'en parler devant un tribunal profane ou religieux …
« Ici ce n'est plus l'homme qui parle au paysage, c'est le paysage qui parle à l'homme et lui impose, en fonction des représentations que celui-ci se fait des forces animées dans la nature, la reconnaissance d'un ordre cosmique à respecter par des actes particuliers : offrandes de graisse, de sang, de bois de renne, obligation de ne pas faire de bruit, de ne pas y dormir ou près de ces lieux, de ne pas y faire du feu, de ne pas les souiller en y abandonnant des brindilles d'herbe après s'être rechaussé, ou des habits sales, comme des sous-vêtements féminins. C'est le cas des sieides, ces pierres dont la morphologie ou l'emplacement pouvaient laisser supposer en elles la présence d'un intermédiaire privilégié entre les hommes, les êtres vivants et les forces de la nature et de l'environnement immédiat. Les racines de ces croyances relatives au paysage plongent dans l'ancien chamanisme toujours actuel, au moins sous forme de prescriptions de bonne conduite.. »…
«
Le paysage historique sâme s'est formé d'abord à partir de ce que l'on peut appeler la préhistoire en Laponie.
Pour illustrer cette « pensée sauvage », selon les mots de Lévi-Strauss quelques lignes de l'écrivain polonais Mariusz WILK extraites de son ouvrage « DANS LE PAS DU RENNE », ed. Noir Sur Blanc.Il raconte son périple avec les éleveurs de rennes semi-nomades de la péninsule de KOLA. Sédentarisés de force par le pouvoir soviétique, ceux-ci s'efforcent pourtant de garder leur mythologie et leurs croyances liées à l'espace.
Vous pouvez aussi prononcer les noms des toundras de Lovoziéro en suivant le soleil (dans le sens des aiguilles d'une montre), c'est-à-dire commencer par le Nintchourt, et finir par le Vavnbed. À votre convenance.
Les légendes des Saamis se déroulent comme les brouillards matinaux sur le lac des Esprits. Qui plus est, le Séïdiavr a souvent joué un rôle essentiel dans les mythes saami. Il est dit que si Aïïk (le dieu du tonnerre) rattrape à la course l'homme-renne et le frappe de sa première flèche, le volcan sous le Séïdiavr se réveillera et inondera la terre de lave en ébullition. La deuxième flèche allumera un incendie cosmique, et la troisième entraînera la chute des étoiles sur la terre, le soleil s'éteindra et ce sera la fin du monde.
Toutefois, le personnage principal des mythes liés au lac des Esprits était (et est resté jusqu'à aujourd'hui!) le terrible Kouïva, maître du Séïdiavr. Sa figure noire (plus de soixante-dix mètres), qui trône sur une avancée rocheuse de la rive nord du lac, ne laisse ni les chercheurs ni les amateurs de phénomènes en tout genre dormir en paix. Personne n'arrive à expliquer comment elle est arrivée là. Certains soutiennent que c'est un phénomène d'érosion; d'accord, mais dans ce cas, pourquoi ce phénomène s'est-il arrêté? demandent les autres. On affirme aussi parfois que c'est un énorme pétro-glyphe, bien qu'on n'en ait jamais vu de pareils nulle part ailleurs. Certains braillent, jusqu'à s'en érailler la voix, qu'une veine de vieux minerai est montée à la surface. Il existe aussi ceux qui voient dans la gigantesque fresque de pierre sur le roc du Kouïvatchorr l'ombre du titan Hyperborée, les traces d'une explosion nucléaire dans un passé immémorial... Il convient d'ajouter que personne n'a réussi à photographier Kouïva de près. Deux tentatives ont été effectuées et elles se sont terminées l'une et l'autre par un fiasco. Des avalanches de pierres ont emporté les photographes avec leur matériel.
On ne s'est jamais mis d'accord non plus sur l'identité de ce Kouïva légendaire. Parmi les différentes versions, celle qui revient le plus souvent raconte qu'il était le chef des Tchoudes (envahisseurs étrangers), et qu'il a été incrusté dans le rocher par les sortilèges d'un chaman saami. C'est peut-être la raison pour laquelle, dans la plupart des récits sur Kouïva, on perçoit une note de crainte superstitieuse et qu'aujourd'hui encore les gens du pays jettent des pièces de monnaie en argent dans le lac en offrande au Vieux. La première fois que j'ai dormi au bord du Séïdiavr, j'ignorais cette coutume et, éveillé le matin par le soleil, j'allai de mon sac de couchage directement dans l'eau. Je n'eus pas le temps de nager tout mon soûl que le ciel au-dessus de ma tête se couvrit de nuages et que la pluie tomba à verse. Le temps avait changé en un clin d'œil, radicalement. Tiéplakov, dont je n'ai fait la connaissance que plus tard, m'a expliqué que Kouïva s'était emporté. Après cela, il m'a regardé de travers en ajoutant qu'il était préférable de ne pas se baigner dans le lac sacré. »
A SUIVRE