Depuis l’avènement des forums et de Twitter, on peut observer une nouvelle tendance chez les soi-disant amateurs de cinéma : le bashing d’une œuvre en projet. En effet, il ne se passe pas une semaine sans que les fanboys d’une certaine œuvre prennent d’assaut les réseaux sociaux pour hurler leur déception de voir le motif de leur passion dénaturée (en tout cas, c’est ce qu’ils pensent).
Il y a une bonne fournée d’exemple. On se rappelle bien évidemment du tollé que la nomination de Ben Affleck l’année dernière pour succéder à Christian Bale pour le prochain Batman Vs. Superman avait provoqué: quolibets, menaces de boycott et jugements péremptoires sur la qualité d’un film dont le scénario n’est même pas écrit. Doit-on rappeler qu’Heath Ledger avait subi les mêmes critiques lorsqu’il fut choisi par Christopher Nolan pour interpréter le Joker, une performance remarquable (quoiqu’un peu surcotée pour être honnête) qui lui valut un Oscar.
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La nouvelle version de RoboCop, le remake/reboot/suite du film de Paul Verhoeven de 1987, réalisé par José Padilha a subi ce bashing dès son inception. Nous sommes bien d’accord qu’il n’y avait aucune réelle raison de faire ce nouvel opus mais la réaction du public fan fut démesurée. A partir de la simple image de la nouvelle armure de RoboCop prise pendant le tournage, les fanboys de 1987 et les M. Je-sais-tout des réseaux sociaux (qui ne connaissent apparemment ni José Padilha ni Joel Kinnaman) ont pu décréter que le film serait mauvais. Quelques semaines plus tard, à la sortie du film, on a pu entendre que la nouvelle version n’avait rien compris au film de Verhoeven et qu’elle prônait les idées contraires de son aînée. L’important n’est donc pas RoboCop mais ce qu’il véhicule. Alors pourquoi faire du bashing sur la nouvelle armure quelques mois auparavant ?
On retrouve énormément de ces contradictions dans cette nouvelle tendance qui a juste peur de la nouveauté et qui blâme encore et toujours les studios américains pour leur manque de prise de risque. Mais n’est-ce pas un manque de prise de risque de critiquer un film avant même la fin de son tournage ou même de sa sortie ? N’est-ce pas là une marque de manque de confiance à des studios qui savent globalement quand même ce qu’ils font (malgré quelques SNAFU évidents, comme The Lone Ranger, adaptation de la série TV, ou encore Total Recall, remake du film de Verhoeven justement, par ce tâcheron de Len Wiseman) ? Le pire est que cela crée de nouvelles icônes intouchables et terriblement surévaluées.
Paul Verhoeven est passé en l’espace de quelques années d’un bon réalisateur de films d’action des années 80’s plus intelligents et plus violents que la moyenne à un génie visionnaire inégalable, que seul John McTiernan peut aller chercher sur son terrain. Pourquoi cela ? Pour la simple et bonne raison que des décideurs ont eu le malheur de poser Len Wiseman et Colin Farrell en lieu et place de Verhoeven et Schwarzenegger pour un remake immonde de Total Recall mais qu’ils ont eu du nez un an plus tard en décidant d’envoyer José Padilha (en le dégoûtant cependant pendant le tournage des grosses machines hollywoodiennes) et Joel Kinnaman pour remplacer Verhoeven et Peter Weller pour RoboCop. Depuis ces deux choix, Paul Verhoeven est considéré comme un génie. Doit-on rappeler à ces adorables fanboys que le Hollandais Violent est aussi responsable des scandaleux Showgirls et Hollow Man ? Mais là n’est pas la question.
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Il se trouve que le nouveau RoboCop -aussi décrié par les apôtres du premier pour sa classification PG-13 qui était la preuve que le film de Padilha ne serait pas aussi violent que l’ancien- est un film absolument splendide, bien plus qu’une simple actualisation du très bon film de Verhoeven (car oui, on peut apprécier les deux, il n’y a pas de camp à choisir) mais une œuvre à part entière, une variation du mythe de RoboCop et une bien meilleure variation du mythe de Frankenstein que le jouissivement médiocre I, Frankenstein sorti une semaine plus tôt. Réalisé par le Brésilien José Padilha donc (auteur des deux Tropa de Elite et du documentaire Bus 174), RoboCop est une satire féroce sur l’Amérique d’aujourd’hui et sa lutte paradoxale contre l’insécurité.
Pour résumer très vite, l’entreprise OmniCorp (sorte d’Apple de l’armement militaire) veut mettre ses robots de combat qu’ils utilisent en Iran dans les rues des USA pour protéger ses citoyens. Cependant, le Sénat refuse de promulguer une loi pour autoriser les robots dans ses villes. Alors le PDG d’OmniCorp, joué par un immense Michael Keaton, saute sur une occasion en or : pour mettre un homme dans une machine, il utilise ce qu’il reste d’Alex Murphy, un policier de Detroit gravement blessé dans une explosion.
Le scénario ne ressemble que très peu à celui de son aîné, on fait deux, trois références au travers de dialogues savoureux et on s’écarte totalement du film de Verhoeven pour réaliser SON film. Voilà la grande force de ce RoboCop. Ils n’auraient jamais pu tenir la comparaison due à la nostalgie des spectateurs. Alors José Padilha et Joshua Zetumer ont centré leur métrage sur la politique d’un côté et la (perte de) personnalité du héros, magistralement joué par Joel Kinnaman, dont on sait depuis The Killing qu’il est un excellent acteur. Le côté satire politique est représenté par une émission de télévision récurrente dans le film, dont le présentateur est joué par Samuel L. Jackson, imitant avec talent Bill O’Reilly. Ses visions nationalistes et républicaines semblent malheureusement plus vraies que nature et sont bien réparties à travers le film. La manipulation de l’info par ce genre de média est bien représentée par des scènes qui provoquent un rire très gêné pour le spectateur. Il faut aussi saluer les deux sbires de Michael Keaton, Jennifer Ehle (Zero Dark Thirty) et Jay Baruchel (This is the End), en responsables juridiques et marketing du projet RoboCop.
Pour ce qui est de la partie plus intimiste, il faut remercier Gary Oldman, qui est encore une fois exceptionnel en scientifique pas forcément en phase avec les ordres qui lui sont donnés. Sa performance rend les autres meilleurs. Les entrevues entre la famille de Murphy et le simulacre d’homme que ce dernier est devenu sont particulièrement bien filmées et proposent une émotion à laquelle on ne s’attendait pas en allant voir RoboCop : de la compassion. Quant à l’enquête policière du film, elle est rondement menée, avec certes des coupables un peu trop faciles, mais traitée avec efficacité. C’est tout ce qu’on demandait. C’est d’ailleurs le principal talent de Padilha : l’efficacité avec laquelle il passe d’une grosse scène d’action (portées par une bande-son remarquable et des effets spéciaux qui savent passer derrière la narration) à une scène bien plus calme entre Abbie Cornish, qui reste admirable même si elle passe son film à pleurer, et Joel Kinnaman.
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Malgré ses abords de ”remake inutile” (expression idiote. Quel film est inutile, quel film ne l’est pas ?), RoboCop est un des meilleurs films de ce début d’année, de par sa portée émotionnelle, son intensité de tous les instants (les 20 premières minutes sont tout bonnement prodigieuses), son intelligence et son humour décapant qui n’a rien à envier au film de Verhoeven. En effet, clore son film sur ”I Fought the Law” des Clash, pour RoboCop, cela témoigne d’un second degré particulièrement efficace, non ? C’est totalement dans ce sens-là que doivent tendre les prochains blockbusters hollywoodiens. C’est pour cela que ce bashing gratuit doit cesser. Depuis quand juge-t-on un film sur un rating, sur une affiche ou même sur une bande-annonce ? Un film est une œuvre et pour être jugée de manière légitime, elle doit être vue dans son intégralité et dans le respect de la vision de l’auteur ou du studio qui le propose. Tout le monde peut avoir son avis sur un film. Encore faut-il qu’il soit étayé.
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