Ce film a déjà été tellement commenté, tellement loué, tellement décortiqué, que je n'aurai rien d'original à ajouter. Je me contente d'opiner du chef, de faire "hum-hum" d'un air approbateur, et d'applaudir ce merveilleux film qui parle de vie, d'envie, de survie, avec simplicité et générosité, avec une humanité qui vous étreint, avec le sens du récit et de l'histoire, une histoire qui a la dimension d'un conte oriental.
Je voulais aller le voir à sa sortie, parce que c'était Abdellatif Kechiche, le réalisateur multi-césarisé, parce que l'histoire traitait d'un sujet humaniste et universel, parce qu'il y avait du soleil dedans. Et puis je l'ai laissé passer. Deuxième vie grâce aux Césars, il repasse et cette fois, j'y cours.
La graine et le mulet, c'est d'abord une métaphore pour le couscous au poisson de l'ex-femme de Slimane, enjeu d'un terrible suspense à la fin du film. C'est aussi un jeu de mot subtil pour évoquer les trois générations de l'immigration maghrébine en France.
On pourrait facilement assimiler Kechiche à un Ken Loach français : il traite d'un sujet humaniste et social avec générosité. Slimane perd son emploi sur les docks de Sète. Au lieu de pouvoir travailler plus pour gagner plus, il s'est vu imposer des horaires décalés et surtout son temps de travail réduit selon les fluctuations économiques, du marché, les caprices de la croissance. Refusant de retourner au bled, comme le lui conseillent ses fils, il récupère un vieux rafiot à désosser pour le transformer en restaurant. Avec l'aide d'une famille solidaire mais peu soudée, avec l'aide de sa belle-fille, la jeune et jolie Rhym, qui l'aide dans ses démarches, Slimane tente de mener son projet à bien.
Le seul hic que j'aurais à émettre concernant La Graine et le Mulet, c'est la caricature un peu grossière de la bourgeoisie sétoise. Le jeu de ping-pong entre les différentes administrations pour obtenir le permis d'ouvrir le restaurant est bien vu et je ne doute pas que les réactions qu'on leur voit lorsqu'ils sont à table ne sont pas vraisemblables. Il est dommage que l'ensemble donne une impression de too much. A côté de cela, le directeur qui licencie Slimane au début est filmé avec une telle justesse et une telle humanité...
Le film est long, mais on ne s'ennuie pas une minute. Le réalisateur capture le quotidien et nous avec. Le film se termine par une longue séquence alternée entre une danse du ventre enivrante et la course désespérée de Slimane. A la différence de Salomé, Rhym danse pour sauver la tête de son beau-père.
Epoustouflante Hafsia Herzi, merveilleusement belle, sensuelle (elle a grossi de 15 kg pour le rôle) aussi volontaire que son rôle (elle a menti le jour du casting en disant qu'elle savait danser la danse du ventre). Elle resplendit dans chacune des scènes où elle apparaît. Celle où elle essaie de convaincre sa mère de se rendre à la fête est un joyau de malignité enfantine, de ruse féminine, de désarroi, de tristesse, de solitude.
On a cité à propos d'Abdellatif Kechiche Renoir, Pagnol, Pialat même à cause de la façon qu'il a de laisser les scènes s'étirer afin de filmer l'essence de la vie. Il serait peut-être temps de reconnaître que Kechiche a surtout et d'abord son propre style, qui fait mouche à chaque fois depuis La faute à Voltaire.
PS : gros bisous à Soussou si elle passe par là...
Une belle critique pour en savoir plus.Mes Petites Fables