Malgré les efforts faits en ce sens, le système éducatif français semble toujours en retard concernant l’aide à l’émergence de l’innovation. Retour sur ce qui bloque, ce qui aide et ce qui va changer.
Rencontre avec Renaud Gaultier, responsable du programme IDEA (Innovation, Design, Entrepreneurship & Arts), à la suite de son workshop “Former les innovateurs pour concevoir le futur” au LIFT 2014. Ce programme cherchant, grâce à un double-diplôme, à former les futurs "entrepreneurs de l’innovation" est issu de l’Alliance Science et Business conclue entre l’EMLYON Business School et Centrale Lyon.
Quels leviers manquent-ils, selon vous, aux jeunes d’aujourd’hui pour innover ?
Ils leur manquent du temps. Quand j’entends un ministre de l’éducation dire qu’il faut absolument que le temps disponible de l’enfant se passe à l’école, cela me perturbe. Il faut avoir du temps pour soi, pour réfléchir, pour s’interroger. Je pense, également, que nous sommes dans une société de la peur, peur du déclassement social, d’être en dehors du système, d’être différent. Aujourd’hui, il faut rentrer dans une entreprise, faire de l’argent en étant rien contre tous. Or, on commence aujourd’hui à voir arriver énormément de signaux de jeunes gens qui disent: "c’est tellement nul l’entreprise, c’est tellement bouché, c’est tellement inintéressant qu’on préfère s’engager dans autre chose qui nous ressemble davantage" et ainsi choisissent de récréer société sous la forme entrepreneuriale. C’est en tout cas, l’objectif de la plupart des innovateurs d’aujourd’hui, et plus particulièrement des entreprises du web, car il n’y a jamais eu de projets d’entrepreneuriat sans un projet de société sous-jacent.
Mais innover, c’est également avoir un projet où il n’y a pas forcément quelqu’un qui vous a demandé de le faire. Lorsque l’on innove, nous sortons de l’économie de la commande, on est sur une demande qui est imaginaire. Ce qui nous amène sur un point : comment favoriser les imaginaires ? Le contrôle des imaginaires n’a jamais été aussi pressant. Quel est l’espace-temps dans lequel un enfant peut développer son imaginaire ? Nous sommes dans une situation bloquée par l’autocensure. Malheureusement, le modèle de réussite à la française ne favorise pas le risque.
Pensez-vous que le système éducatif français freine l’innovation ?
Nous sommes dans une école qui, depuis la petite enfance jusqu’à l’université, sanctionne l’échec. On s’étonne souvent de la difficulté à générer de l’innovation mais on n’a jamais rien fait pour récompenser la différence et la prise de risques qui sont deux choses fondamentales dans l’innovation. Il existe aujourd’hui dans le système éducatif une culture de l’égalité limitative où les ambitions sont rabotées, où on va essayer de diminuer les étudiants pour les ramener à la dimension des autres, pour que tout le monde soit sur la même médiane, la même moyenne. De cela naît des relations de rivalité, de concurrence où tout le monde doit apprendre la même chose, avec les mêmes acquis et tout de même se différencier à la fin. Or, ce qu’on attend de l’innovation ou de l’entrepreneuriat, c’est la culture du risque, mais nous sommes dans un pays qui, du fait de son histoire, a construit une culture du contrôle du risque, voire de l’annulation du risque. Et ça on peut le constater avec le nombre incroyable de structures d’assurances, de sécurité sociale, les ASSEDIC, le Pôle Emploi. Cette appréhension du risque, des difficultés de la vie n’est, du coup, pas celle d’un pays émergent, par exemple, qui est en rattrapage de prospérité.
Comment pensez-vous que l’on peut enseigner l’esprit d’innovation ?
Je pense que la transdisciplinarité est essentielle. J’ai développé à travers le programme Innovation, Design, Entrepreneurship, Arts (IDEA) une expérience par le réel organisée de manière à partager les difficultés, revenir dessus et les expliquer, pour au final les développer en s’appuyant sur le Design Thinking comme outil méthodologique. Le programme n’est pas LA vérité, mais une proposition. Je propose de cibler les facteurs inhibiteurs, de les déconstruire et de développer au contraire les facteurs accélérateurs, libérateurs de créativité. Je pense qu’il faut réarmer les jeunes, les accompagner, leur tendre la main et leur dire qu’ils vont réussir car ils ne sont pas seuls. Il faut les affranchir de la peur que notre société opère sur eux. Cette démarche n’est possible que dans une structure collective, car dans le groupe, il n’y a pas de dominant : les élèves viennent de disciplines différentes et cela crée une émulation. Nous sommes plus dans la volonté de sélectionner le meilleur qui dominera tout le monde à la fin mais dans une dynamique de coopération. C’est une expérience de vie, une expérience humaine : je crée ma vie et je dois innover pour maintenir le sel de l’existence. Pour cette aventure, il faut des personnes qui n’ont pas peur du risque. Ce projet est avant tout de créer, un jour, une école de la globalisation à caractère humaniste.
Les étudiants français vous semblent-t-il plus frileux sur les questions d’innovation que les étudiants étrangers ?
Je ne peux pas généraliser. Il faut regarder les études qui pourraient permettre de le diagnostiquer. Il y a plusieurs facteurs, moteurs qui favorisent l’esprit d’entreprendre, mais il y a aussi des contextes. Par exemple, si vous avez des entrepreneurs dans votre famille, vous avez un modèle, vous avez des aventures à travers lesquelles vous pouvez identifier. C’est valable pour tous les pays. En France, nous avons des socles culturels qui sont parfois peut-être un petit peu esquintés, mais qui sont tout autant porteurs de valeurs entrepreneuriales qu’ailleurs. Le souffle par contre de l’aventure tel qu’il est encore célébrer dans un pays continental comme les États-Unis ou dans un pays émergent comme le Brésil n’est pas un souffle qui traverse la France. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas des valeurs dans la société ou la culture qui permettent de raviver cette flamme-là.