Par Bénédicte Cart.
Branchée sur les JO de Sochi, dès le petit-déjeuner, je ne peux louper cette merveilleuse occasion de parler de sport.
Il y a un an, lors d’un footing dominical et matinal, après deux minutes d’effort le verdict tombe : « Bénédicte tu ne sais pas courir ». Vexée et blessée dans mon amour-propre, j’attends la suite et mon père d’enchaîner : « pour courir, prends appuis sur l’avant du pieds, tiens-toi droite, les bras le long du corps et le bassin légèrement en avant ». Je l’observe et j’essaie en me contorsionnant, le résultat est hésitant. La séance terminée, je ne pouvais rester sur cette expérience.
Pourquoi donc courrais-je mal ? C’est quoi cette technique de course ?
L’auteur, à travers un récit sur les grandes courses américaines, présente des coureurs d’ultra-trail et une tribu d’indiens, les Tarahumaras, un peuple qui court vivant au nord du Mexique.
Là commence mon apprentissage de la course à pied ou du « running » (plus in, paraît-il).
Mon esprit scientifique et rationnel attendait des explications : aimer courir oui, une passion pour certains, un métier pour d’autres, d’accord, mais de là à dire que l’homme est né pour courir, j’étais sceptique.
L’auteur présente des théories, des recherches américaines, nous montre en quoi le corps est conçu pour que l’homme soit un coureur de fond. L’anatomie est passé au crible de la science, et les grandes marques de sport mises en péril pour laisser place aux capacités physiques de l’humain.
Toutes mes représentations ont pris un coup : le coureur d’ultra-trail est un ovni, un surhomme faisant preuve de courage, une classe supérieure de l’humanité qui comprend l’effort et vainc la souffrance pour atteindre un état de grâce. Clairement inaccessible pour moi, petite runneuse du dimanche et du mercredi.
Bref, la quête insoluble, mais la quête quand même, du bonheur et de la sagesse.
Toutes étaient déconstruites et je me suis mise à réfléchi, à observer mes semblables, comme d’habitude !
Me voici au bois de Boulogne, Salomons au pieds, prête à m’entraîner, les yeux grands ouverts. Que vois-je ? Des coureurs tristes et des styles pour la plupart lourds, aucune grâce en vue, mais de la souffrance et au mieux de la concentration. Sauf, quand je croise deux individus discutant, que je salue d’ailleurs. Ils semblaient légers, souples, et foulaient légèrement le sol. J’avais l’impression qu’ils volaient. Et pourquoi pas moi ?
Après avoir terminé le livre, je me suis dis qu’avec un peu de travail je devais en être capable. Si mon anatomie a été conçu pour courir, atteindre ce après quoi je cours prenait une nouvelle dimension.
Expérimenter est pour moi la meilleure manière de me forger une opinion alors je filais m’entraîner d’abord difficilement, courir en appui avant ce n’est pas évident, j’avais l’impression d’être une souris de laboratoire, sujet de ma propre recherche, en train de corriger ma position toutes les vingts secondes. Le problème c’est que je ne pouvais pas me voir donc j’ai demandé l’avis du plus expert : « oui la position est pas mal », comprendre : c’est bien, tu as compris le truc, fille.
Ça y est, je pouvais courir et alors ? Rien, oui j’étais mieux, ma foulée était plus fluide, j’arrivais à m’adapter à tout type de terrain, courir devenait facile, mais le bonheur où était-il ? J’avais le même pic d’endorphines, rien de plus, j’étais déçue.
Puis j’ai relu certains passages et j’ai couru, le nez en l’air et j’ai vu la nature qui m’entourait, la montagne ou le lac inférieur du bois de Boulogne. Je me souviens d’un mercredi soir, je finissais mon tour, il était 17h30 et le soleil se couchait, la vue était magnifique sur la Tour Eiffel et les runneurs continuaient leur chemin, imperturbables. Moi je repère un individu en train de prendre des photos, il essaie de dégager des branches mais n’y arrive pas tout seul, je vais l’aider et partage un large sourire avec lui comprenant que nous venions de voir la même chose : un moment de grâce naturelle.
En rentrant chez moi, je me suis demandée : était-ce cela après quoi je cours ? Est-ce que je venais de vivre un moment de bonheur ? C’était quoi ce sourire béat que j’affichais ?
J’avais lu le livre, répété les mêmes erreurs que les coureurs professionnels américains, c’est-à-dire faire de la course à pied un travail, un entraînement, souffrir pour atteindre une autre dimension, en oubliant le plaisir pris et la liberté que le mouvement procure.
Oui, mais je pouvais courir, enfin. Les Tarahumaras l’ont compris depuis la nuit des temps, le bonheur est une construction de l’esprit humain, la performance un conditionnement. Les dépasser, penser l’essentiel et ressentir font une multitude de moments de grâce, qui, j’en suis convaincue, font de nous des êtres sages.
Il n’y a pas d’autre dimension, seule la réalité existe et nous seuls en sommes les acteurs. En courant, il ne tient qu’à nous d’être attentifs à la beauté qui nous entoure pour être heureux et c’est accessible à tous.
Alors chers lecteurs libéraux, chaussez vos baskets, et souriez à la vie.
— Christopher McDougall, Born to Run (Né pour courir), Guérin, 2012, 420 pages.