Où on va papa ? est un livre très particulier. Il nous raconte le quotidien de Jean-Louis Fournier avec ses deux enfants handicapés moteurs et mentaux. L’humoriste et réalisateur de télévision nous dit toute la culpabilité qu’il ressent d’avoir donné cette vie-là à ses enfants, une vie de souffrance physique et morale : « Quand je pense que je suis l’auteur de ses jours, des jours terribles qu’il a passé sur Terre, que c’est moi qui l’ai fait venir, j’ai envie de lui demander pardon ».
Pour l’auteur, la naissance de Thomas et Mathieu est « la fin du monde », le début d’un long calvaire. Parce qu’il s’agit bien d’un calvaire. Tout le livre n’est que plainte : jamais il ne pourra leur faire découvrir la littérature ou la musique classique, partager avec eux la beauté de la nature, les emmener visiter des musées. Thomas et Mathieu n’évolueront pas (ou si peu) que l’auteur en est désespéré d’avance. A aucun moment, il ne parle de ses tentatives pour les élever et les éveiller au monde qui les entoure.
Ce qui peut aussi étonner, c’est le ton employé par Jean-Louis Fournier pour parler de son vécu. Cet auteur, qui revendique la liberté de rire de tout, emploie l’humour noir et la dérision à profusion. Mais, en filigrane, on sent bien qu’il s’agit là d’une protection qui lui permet de faire face à la situation, de surmonter la douleur, le sentiment de culpabilité et le regard des autres. Parfois, n’y tenant plus, il a des envies de meurtre : « J’ai pensé que, quand ils seraient grands, j’allais leur offrir à chacun un grand rasoir coupe-chou. On les enfermerait dans la salle de bains et on les laisserait se débrouiller avec leur rasoir. Quand on entendrait plus rien, on irait avec une serpillière nettoyer la salle de bains ». Ce type de discours, qui traverse tout le récit, rend celui-ci dérangeant et a provoqué un profond malaise chez moi.
Ce qui fait aussi la particularité de ce livre, c’est la controverse qui l’a entouré. Présenté par les médias comme le témoignage d’un père, il s’agirait en fait d’une œuvre de fiction, d’une réalité largement romancée, comme en témoigne la maman, qui s’est autorisée un droit de réponse public. Par le biais de son blog, elle entend ainsi ramener la vérité à propos de ses enfants. Non, ils ne sont pas des désastres, des êtres inutiles avec qui aucune relation ne peut être établie. Elle nous prouve, par mille exemples, que ses enfants ont été heureux, qu’ils ont fait le bonheur de leur entourage et qu’ils étaient beaucoup plus autonomes que ce que le livre ne laisse penser.
Même s’il s’agit d’un roman, Où on va papa ? est un livre qui dérange. Non pas parce qu’il pose des questions essentielles mais par le malaise qu’il provoque. Bien au-delà de la caricature, il fait passer les enfants handicapés pour des moins que rien et des inutiles, là où le vécu des personnes qui les côtoient est bien différent. Car ces « petits oiseaux cabossés », par leur innocence, font généralement preuve d’une grande clairvoyance et nous ramènent bien souvent aux valeurs essentielles.
Où on va papa ? – Jean-Louis Fournier – Editions Stock – 2008