Enfin voilà que notre ami Le Penseur relève le défi que je lui avais lancé il y a quelques jours et il nous gratifie d’un billet de son cru.
Et bien sûr, comme promis, je le mets en ligne sous sa signature – et sous sa responsabilité – et vous demande de ne pas lésiner sur les commentaires.
REPLI SUR SOI ET REFUS DE L’OUVERTURE
“Tout en remerciant Hmida pour son invitation, ainsi que fat owl et Salvadorali pour leurs encouragements, je tiens à préciser que mon obstination à refuser de publier un billet est sans raison ni justification valable. Mes cupla.
Il ne me reste peut-être qu’à trouver un sujet de billet ? Même pas besoin !
Le sujet est déjà là : celui du repli sur soi et de l’obstination à refuser l’ouverture, non seulement à l’échelle de l’individu, mais projetée à la dimension de toute une nation ou ensemble de nations.
Faisons un peu de fiction et imaginons qu’à notre époque une partie de la planète, par la volonté de ses dirigeants, s’isole des moyens de communications actuels, Internet en l’occurrence, durant des décennies, voire des siècles … et essayons d’évaluer le décalage et l’écart qui en résulteraient par rapport au reste du monde (en bien ou en mal, là n’est pas la question).
C’est approximativement ce qui s’est passé pour le monde arabo-musulman, durant au moins quatre siècles, depuis avènement du livre imprimé et son utilisation en Europe.
Comme chacun sait, durant des siècles, la mémoire personnelle et l’écriture manuscrite ont servi de supports principaux pour la sauvegarde et la diffusion des connaissances et du savoir.
L’invention par Johannes Gutenberg (1394-1468) de l’écriture artificielle, à travers des moyens d’impression à caractères mobiles, allaient ouvrir une nouvelle page dans l’histoire de l’humanité : celle du « livre imprimé » dont le triomphe allait donner une nouvelle existence aux langues régionales et populaires, pour en faire le véhicule de la culture et de la pensée, notamment en Europe.
En effet, la publication des ouvrages scientifiques ne se limitaient plus au latin, langue fédératrice de la communauté savante, mais s’ouvraient vers les langues nationales et régionales que sont l’italien, l’allemand, le français, l’anglais, l’espagnol, le hollandais.
L’accès au monde de la science s’accéléra et le niveau d’instruction s’éleva, pour des populations de plus en plus vastes.
Et durant ces siècles, où les publications des uns allaient améliorer et/ou corriger les connaissances des autres, où les fausses certitudes étaient confrontées à au souci de cohérence et de justifications exigées par la communauté savante, les dirigeants en terres d’Islam ont refusé, de manière catégorique, l’introduction du « livre imprimé », notamment en arabe. Et je suis persuadé que ce refus aide à comprendre de nombreux traits du monde arabe contemporain.
La situation est de plus paradoxale, au vu de la littérature de grande valeur qu’à véhiculé la langue arabe, et portant sur la poésie, l’histoire, la médecine, les mathématiques, l’astronomie. Le papier même fut introduit en Europe par les arabes via l’Espagne. L’alphabet arabe, constitué de 28 lettres présentant chacune des variantes selon l’emplacement dans le mot, en plus des voyelles courtes, reste un alphabet facile à transcrire. La langue arabe, celle du Coran et des Hadith, est une langue vénérée, écrite et maîtrisée sur un vaste territoire, et ayant traversé des siècles d’histoire.
Et pourtant, les dirigeants et les Imams ont tenu à interdire l’usage de l’imprimerie, pour une raison qui reste compréhensible : la crainte du blasphème que pourrait engendrer la publication de fausses versions du Coran.
Il est aussi important de noter que la diabolisation de l’Islam et des musulmans en Europe, est un facteur qui a accentué cette crainte de l’usage de cette technique venue de territoires ennemis. Je cire l’exemple instructif ci-après. En 1530, le texte du Coran fut publié à Venise, puis cette édition fut détruite sur ordre du pape, se dressant contre cette décision papale, Luther proclama que « la connaissance du Coran œuvraient à la gloire du Christ et du christianisme, à la défaite des mahométans et la mortification du Diable ». En clair, catholique et protestants avaient certes des divergences, mais un ennemi commun : l’Islam.
Dans l’empire ottoman, les autorités musulmanes avaient autorisé aux autres communautés religieuses l’usage de l’imprimerie, mais ni en turc ni en arabe.
En Egypte, l’imprimerie fut introduite par Bonaparte, puis encouragée et par Muhammad Ali, qui réussit en 1833 à imprimer une première édition du Coran, puis retiré par les religieux après sa mort. Cependant, des traductions et impressions de livres européens ont eu lieu de manière relativement importante et durable.
Au Maroc, c’est dans la ville de Taroudant que fut introduite la première imprimerie, par un égyptien, en 1865.
Au-delà des événements et des dates, le constat est lourd : à travers le refus de l’imprimerie par le monde arabo-musulman, pour des craintes que (je le répète) j’estime compréhensibles, un décalage de plusieurs siècles allait avoir lieu … et les conséquences sont encore ô combien visibles, à travers le manque flagrant de maturité, l’illusion d’avoir raison, le mépris de l’autre et toutes ces tares qui plongent plusieurs endroit du monde arabo-musulman dans le chaos, la violence et l’instabilité.
La raison est unique : l’absence d’une base et d’un patrimoine intellectuel suffisamment répandu à l’échelle des populations, et en phase avec les exigences du monde contemporain.
Voilà, j’espère avoir laissé une bonne impression”.