Par Isidore Kpotufe (*), depuis le Ghana.
Cette année, l’indépendance et la liberté du continent africain faisaient partie intégrante des discours. Il me revenait de parler de l’indépendance africaine aux élèves. Bien avant cela, durant une session d’échanges entre les conférenciers et le public, les intervenants étaient avec grande surprise, en désaccord sur la question de l’indépendance africaine. Pour le public (majoritairement constitué d’élèves), un grand nombre de pays Africains ont « arraché » leur indépendance des grandes puissances européennes notamment la France, Grande-Bretagne, le Portugal, la Belgique… il y a 50 ans. Ceux-ci continuent à défendre le fait que l’Afrique se dote d’une liberté politique. Cependant, il leur paraissait impossible de définir le thème Indépendance Africaine. Une question qui a apparemment fait polémique lors de cette rencontre.
Nous, Africains qui avons été instruits, avons appris à l’école que « les pays africains sauf l’Éthiopie et le Liberia selon l’histoire, ont été colonisés principalement par les pays européens au XIXe siècle. Mais grâce aux efforts des leaders africains à cette époque, Kwame Nkrumah (Ghana), Sékou Touré (Guinée), Félix Houphouët-Boigny (Côte d’Ivoire), Léopold Sédar Senghor (Sénégal), Modibo Keita (Mali), Patrice Emery Lumumba (R. D. Congo), Sylvanus Olympio (Togo), Nelson Mandela (Afrique du Sud) pour ne citer que ceux-ci, l’Afrique a obtenu son « indépendance » ». De quelle indépendance parle-t-on ici ? L’Afrique est réellement indépendante au plan économique ? Libre de l’ingérence politique de ses anciens colons ? L’Afrique n’est-elle pas toujours largement influencée par la culture dévastatrice occidentale ? Des réponses précises à toutes ces questions font appel aux vrais débats d’idées.
Les situations que nous vivons ici en Afrique sont à déplorer. Ce n’était certainement pas le plan des pères de l’indépendance africaine pour leurs fils. Il est temps que nous, Africains, prenions conscience de cette réalité et changions la direction des débats sur cette question.
Quel était le plan des héros de l’indépendance africaine pour l’Afrique d’aujourd’hui ?
Le 23 septembre 1960, devant l’Assemblée générale des Nations unies à New York : « Des années durant, l’Afrique a été la victime du colonialisme et de l’impérialisme, de l’exploitation et de la dégradation. Du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, ses enfants ont enduré les chaînes de l’esclavage et de l’humiliation. Pendant ce temps, les exploiteurs et les décideurs autoproclamés de notre destin souillaient nos terres, avec une incroyable sauvagerie, sans pitié, sans honte, sans respect. Ces jours sont révolus et à jamais révolus (…) »
Après son accession à la présidence du Ghana en 1960, il écrit : « Le nationalisme africain ne se limite pas seulement à la Côte d’Or, aujourd’hui le Ghana. Dès maintenant il doit être un nationalisme panafricain et il faut que l’idéologie d’une conscience politique parmi les Africains, ainsi que leur émancipation, se répandent partout dans le continent. »
Joseph Ki-Zerbo partageait lui aussi cette idée d’indépendance de l’Afrique juste comme Kwame Nkrumah, libre et économiquement indépendante. Ainsi, la donne politique et la donne économique se rejoignent. Joseph Ki-Zerbo écrit : « Quand avec Kwame Nkrumah, Amilcar Cabral et les autres, nous nous battions pour l’indépendance africaine, on nous répliquait : « Vous ne pouvez même pas produire une aiguille, comment voulez-vous être indépendants ? » Mais justement pourquoi nos pays ne pouvaient-ils pas produire une aiguille ? Parce que, pendant cent ans de colonisation, on nous avait affecté à ce rôle précis : ne pas produire même une aiguille, mais des matières premières, c’est-à-dire dépouiller tout un continent. »
Sékou Touré
Encore, une autre importante figure de la liberté africaine : Sékou Touré, en Guinée, premier pays d’Afrique noire à s’extraire de la zone d’influence française. Au moment où la Guinée dit « non » à la France de De Gaulle, Sékou Touré est très clair sur le sens de sa démarche pour l’indépendance de son pays et celle de l’Afrique: « Il n’y a pas de dignité sans liberté : nous préférons la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage. » Apparemment, cette expression de Sékou Touré est figurée.
Patrice Lumumba
En effet, l’unité africaine tant souhaitée aujourd’hui par tous ceux qui se soucient de l’avenir de ce continent, « ne sera possible et ne pourra se réaliser que si les hommes politiques et les dirigeants de nos pays respectifs font preuve d’un esprit de solidarité, de concorde et de collaboration fraternelle dans la poursuite du bien commun de nos populations. Les aspirations des peuples colonisés et assujettis sont les mêmes ; leur sort est également le même. Les buts des mouvements sont les mêmes. Ces buts, c’est la libération totale de l’Afrique du joug colonialiste.
Il continue : « Puisque nos objectifs sont les mêmes, nous atteindrons facilement et plus rapidement ceux-ci dans l’union plutôt que dans la division.»
Ces divisions, sur lesquelles se sont toujours appuyées les puissances coloniales pour mieux asseoir leur domination, ont largement contribué – et elles contribuent encore – au suicide de l’Afrique.
Apparemment, l’Afrique n’a pas pu encore atteindre ces objectifs. Mais j’ai de l’espoir pour l’Afrique.
Comment sortir de cette impasse ?
Soyons réaliste mais optimiste…
Pour moi, il n’y a qu’une seule voie. Cette voie, c’est de dire la vérité à cette génération, leur faire comprendre que les visions des pères fondateurs de l’Afrique moderne ne sont pas encore atteintes : celles d’avoir un continent indépendant au plan économique, capable de gérer ses affaires politiques avec compétence et de voir ses filles et fils vivre dans l’harmonie et dans l’unité, un continent où tout le monde respectera les droits et libertés d’autrui. L’expérience démontre que dans nos territoires africains, l’opposition que certains éléments créent au nom de la démocratie, n’est pas souvent inspirée par le souci du bien général ; la recherche de la gloriole et des intérêts personnels en est le principal, sinon l’unique mobile. L’existence d’une opposition intelligente, dynamique et constructive est indispensable afin d’équilibrer la vie politique et administrative du gouvernement au pouvoir.
Il est important que nous disions la vérité à nos élèves – pour sauver la future génération de la tyrannie économique qui nous frappe aux yeux aujourd’hui.
C’est notre droit de faire de ce continent un continent de la justice, du droit, de la liberté et de la paix.
(*) Isidore Kpotufe dirige Imani francophone, le projet francophone du think-tank Imani Ghana
- Lycée privé à Accra, capitale du Ghana qui forme les élèves selon leurs compétences spécifiques. ↩