Il y a 15 ans, j’effectuais un stage de recherche dans un centre national d’entraînement. Je suis allée rencontrer des entraîneurs et des joueurs de tennis. A la question de l’utilité de la psychologie dans le tennis, les réponses ont été claires de la part des entraîneurs: «les «mecs» n’ont pas d’états d’âme. La psychologie ne sert à rien». Cette phrase m’a marqué. Encore plus, car quelques minutes plus tard, j’allais interroger deux jeunes joueurs. L’un était malheureux car son entraîneur ne s’intéressait pas à lui car il n’avait pas le gabarit adéquat pour le haut niveau et était proche de se faire virer par manque de résultats. L’autre était blessé depuis plusieurs mois et personne ne s’intéressait à lui, à ce qu’il ressentait et il se sentait seul. J’étais frappée par le fossé séparant le ressenti des entraîneurs qui prétendaient que les joueurs n’avaient pas besoin d’accompagnement psychologique et ceux des joueurs qui ne se sentaient pas écouté, compris et ne pouvaient pas exprimer leur malaise à leur entraîneur. Ces deux joueurs malheureux ont connu une suite plus radieuse puisqu’ils font partie des 20 meilleurs joueurs mondiaux aujourd’hui.
Cet exemple est peut-être un cliché, une généralité, mais quinze années ont passé et je me demande si les mentalités ont réellement changé. J’ai constaté quelques évolutions mais parler de psychologie dans le milieu sportif reste encore un sujet superflu, négligé et même critiqué. La psychologie demeure une discipline floue pour le sportif et l’entraîneur qui ne comprennent pas toujours l’intérêt de la démarche et restent sur des préjugés qu’il faut nécessairement éclairer pour faire évoluer cette discipline dans le futur.
Cela paraît évident de s’entraîner, de bien manger, de muscler son corps, de faire attention à sa récupération, de s’occuper de son corps pour être performant. Mais comment peut-on s’occuper de sa tête? Est-ce que ce que le sportif n’est pas un être humain comme un autre qui arriverait à être performant quelque soit ses états d’âmes? Peut-être que le milieu sportif rêve d’un sportif à l’image d’une machine, bien huilée, performante qui ne se pose aucune question.
Le malentendu provient du mot «psychologie» qui reste ancrée dans les mentalités avec la pathologie. La question reste toujours en suspens: «Si je vais voir un psychologue, ça veut dire que je suis cinglé?». Non. Il faut donc déjà rassurer le sportif. Une fois passé cette étape, il faut qu’il puisse assumer avoir «besoin» d’un psychologue. C’est là qu’il se confronte lui-même parfois à un autre préjugé, de paraître «faible» aux yeux des autres. Cela paraît intolérable d’apparaître avec des faiblesses alors que l’on cherche à être le plus fort. On comprend alors aisément pourquoi la psychologie a déjà des difficultés à rentrer dans le milieu sportif. Car elle est perçue comme étant un aveu de faiblesse, alors qu’au contraire, elle pourrait paraître, à l’image de certains sportifs professionnels, comme «banale» au même titre qu’un accompagnement médical, physique, tactique ou technique.
Ce qui est pourtant paradoxal est que l’on entend parler de «mental» partout, dans les journaux, dans la bouche des entraîneurs ou des sportifs, souvent pour expliquer une contre-performance: «Il n’a pas réussi parce qu’il n’était pas fort dans sa tête». «Elle a craqué mentalement». «Le stress l’a paralysé». Ah bon? Alors, ça veut dire qu’il se passe quelque chose dans la tête du sportif quand même. Ce qui est rassurant (c’est donc un être humain comme un autre). Mais que fait-on pour qu’il ne craque plus, qu’il gère la compétition? Pas grand chose en fait. C’est ce que l’on appelle l’expérience: ce qui ne tue pas rend plus fort. On ne peut pas faire l’économie de la souffrance, mais peut-être pourrait-on les accompagner?
La question est de savoir comment gérer les aspects psychologiques de la performance? Là aussi, il faut dépasser une croyance. L’entraîneur peut penser qu’il peut résoudre ces paramètres en discutant avec le sportif. Cela est évidemment utile mais ce n’est pas pour autant que le sportif arrivera à évoluer psychologiquement. Car le travail psychologique ne se limite pas à une discussion. C’est un travail où le psychologue a une compétence particulière, une distance et une neutralité qui le place à une position différente. Comment faire quand le sportif perd confiance, n’a plus envie, a des conflits avec son entraîneur? On le jette à la poubelle? On en prend un autre et on ré-essaye une nouvelle fois? Le sportif doit souvent se débrouiller avec ses doutes, ses difficultés, ses passages à vide car il ne peut pas avouer cela à son entraîneur ni même à son entourage parfois. Car l’entraîneur est directement impliqué dans la performance, le résultat, alors que le psychologue du sport est là pour parler aussi bien des moments positifs que négatif sans jugement et sans intérêt sur la performance. C’est un regard différent et complémentaire à celui de l’entraîneur.
Pourquoi ne prend-on pas en compte les difficultés que le sportif traverse parfois? Est-ce que l’on veut prétendre qu’il n’a aucune faille? Pourtant, dans la pratique, la réalité est différente. Le sportif traverse aussi des périodes de difficultés personnelles (familiales ou autre), des blessures, des moment de contre-performance, des doutes sur son projet ou ses motivations. Est-ce que le sportif doit se taire et faire semblant de rien? Cela me rappelle l’affaire du rugbyman Matthieu Bastareaud qui avait été hospitalisé pour des troubles psychologiques. Interrogé sur ce sujet, Marie-Jo Pérec a lancé un cri du coeur dans le quotidien l’Equipe: «Je ne comprend pas qu’après les multiples problèmes qu’ont connu les jeunes sportifs français, comme Manaudou ou Gasquet, on n’ait pas tiré les leçons de ces erreurs et que l’on n’encadre pas plus ces gamins». Marie-Jo sait de quoi elle parle, elle qui avait quitté les Jeux Olympiques de Sydney, après avoir eu une crise d’angoisse qu’elle n’a pas réussi à gérer au point de ne pas pouvoir se présenter sur la piste et fuir Sydney dans une stupeur générale. On n’évoque pas non plus les difficultés de l’après-carrière, du passage à la vie «normale» du sportif qui doit faire face à une crise identitaire, se construire une nouvelle vie sans y être préparé et accompagné.
Pourtant, le travail psychologique permet au sportif de mieux se connaître, se comprendre, affirmer sa personnalité, assumer ses choix et de se sentir en accord avec lui-même. Est-ce que cela n’est pas utile pour réaliser des performances? Pourquoi refuser cela au sportif? Je n’ai pas la réponse. Je ne comprend pas que l’on préfère ignorer l’apport de la psychologie du sport. Mais je me demande encore combien de talent seront gâchés car on a ignoré leur états d’âme? Seul quelques sportifs de haut niveau osent parler délibèrement de l’apport de la psychologie dans leur préparation, comme Teddy Riner qui a entrepris un travail qu’il qualifie de “libérateur” depuis huit ans et qui continue à évoluer et battre des records dans sa discipline.
Bien sûr, on voit apparaître de plus en plus les psychologues dans le milieu sportif et cela évolue dans le bon sens. Mais je m’étonne encore de rencontrer des sportifs et des entraîneurs qui n’ont pas de résultats ou qui sont confrontés à des blocages qu’ils ne comprennent pas et qui continuent à avoir des réticences à aller voir un psychologue du sport. Ils ne veulent pas chercher en eux la cause de leurs blocages. Ils ne veulent pas révéler leur part sombre. Est-ce par péché d’orgueil?
Je me demande alors si la psychologie est encore un tabou dans le sport?