Jean-Paul Klée d’emblée avertit lui-même qu’il pratique dans ce nouveau recueil un format lyrique plus court. Et certes, il ne déborde plus la page comme il en était coutumier auparavant. Indéniablement, le format est plus serré, mais le fait qu’il y adosse l’adjectif lyrique amuserait, si l’on ne connaissait l’auteur. Jean-Paul Klée, qui aime compter, a écrit les 95 poèmes qui composent ce recueil en une douzaine de jours… Jusqu’à 22 en une seule journée ! Il possède une volubilité qui confine au prodige. Toutes ses pages se lisent comme de mini-chroniques, des billets qui touchent, qui plus est, des domaines fort différents ; la curiosité est piquée chaque fois, quel sera le sujet suivant ? Jean-Paul Klée évoque d’ailleurs la fatrasie médiévale. Et l’on dévore mi souriant, mi médusé le volume entier. Il y a des thèmes qui reviennent, forcément, l’extermination, l’édition, la mort… et plus particulièrement dans ce livre : Robert de Montesquiou. Mais les pages sont infiniment diverses d’autant que la culture historique et géographique de l’auteur est des plus vaste.
…L’unique fauteuil rempli d’on ne
Sait quoi je m’y assieds jamais c’est
La masse du concret qui tant d’années
M’a obstrué…
On ne saurait passer sous silence bien entendu la graphie kléenne, reconnaissable au premier coup d’œil : des italiques, des esperluettes, des mots déformés, raccourcis, des orthographes revues, des néologismes : faudré/ment ou marvileux (traduire : forcément ou merveilleux), tout un jeu lexical où le lecteur passionné de mots devient partenaire idéal. Et que dire de sa versification avec des coupes à l’emporte-pièce, à la machette, au cutter ? Jean-Paul Klée s’est complètement inventé sa propre poésie, elle est unique, elle n’est qu’à lui. Il se l’est incorporée petit à petit, il l’a si bien légitimée qu’il est capable d’en écrire quasiment à volonté. Le poète ne revient pas de sa prolixité, de cette fécondité et de cette abondance. Ce recueil n’éponge que quelques jours de son œuvre, il en a déjà écrit davantage encore dans le mois qui suivit. Qui pourra jamais éditer le grand Jean-Paul ? Lequel rayonne de poésie tout azimut, irradie littéralement. Avec un lyrisme constant et varié, qui passe de l’ironie à la colère, de la malice à l’indignation. Le titre vaut pour ceux qui tentent d’embellir vainement un monde en décadence. Or Jean-Paul est moins pessimiste que neurasthénique. Le seul remède qui le guérisse provisoirement demeure l’écriture poétique dont il nous gâte avec bonheur. La postface de son ami et légataire Olivier Larizza s’avère subtile et pénétrante.
[Jacques Morin]
Jean-Paul Klée, Décorateurs de l’agonie, bf éditions
13 €. 21 Rue des Bosquets - 67300 Schiltigheim.