Féminisme, criminalité et prisons

Publié le 14 février 2014 par Juval @valerieCG

Je suis en général très réservée face aux féministes qui appellent au durcissement des peines de prison, en particulier pour le viol, et pour dire vrai, je suis réticente tout court au durcissement des peines de prison, voire à la prison tout court.

Essayons de poser les choses. Les institutions policières et judiciaires sont à l'image de notre société et traversées, entre autres, de sexisme et de racisme. On sait par exemple que beaucoup de viols sont correctionnalisés (de crime, ils deviennent des délits qu'on ne juge plus aux Assises) pour plusieurs raisons dont l'une est que face à un juré populaire un violeur s'en sort mieux qu'une agresseur sexuel face à un tribunal correctionnel. Arriver à correctionnaliser un viol car on sait que sinon le violeur s'en sortira mieux , il fallait oser, on l'a fait.  Les crimes contre les femmes sont en général appelés de mille euphémismes "crime passionnel", "vie de couple tumultueuse" (pour un mari qui a torturé sa femme 30 ans). Si autant de victimes refusent de porter plainte c'est qu'elles savent très bien qu'elles risquent d'être mal accueillies au poste de police, mal accueillies au tribunal. Si certaines disent que ce qui a suivi la plainte a été pour elles comme un deuxième viol judiciaire, cela n'est pas sans raison.

Et de l'autre côté, nous savons que nous sommes également face à une justice de classe et raciste. Même si cet article comporte des failles (on ne peut se fier à quelques cas pour en conclure quoi que ce soit),  il démontre néanmoins magistralement qu'on a eu besoin - et l'institution judiciaire est en cause - comme certaines féministes aurais je envie de dire - d'inventer des sexismes propres aux racisés. Les racisés ne font pas des viols collectifs mais des tournantes, ils ne tuent pas leur femme mais commettent des crimes d'honneur. Le meurtre de Sohane Benziane fut un raz de marée politique en 2002 avec la plus importante marche jamais faite contre "la violence machiste des quartiers".  En 2008,  un député Demange, se suicida après avoir assassiné sa femme, il y eut une minute de silence à l'assemblée nationale.  En 2007 un homme décapita sa femme dont un psy dit "Il ne faut pas dire du mal de Nicole Cousin, mais" (oui on parle bien d'une femme décapitée au couteau). Ces jours ci nous avons assisté au procès d'un homme accusé de tortures et d'actes de barbarie sur sa femme ; le crime de viol conjugal n'a pas été retenu. je vous laisse imaginer ce qu'on aurait entendu et ce qui aurait été dit si ces 3 dernières personnes avait été d'origine immigrée (en particulier dans la décapitation au couteau cela aurait été magnifique).
Et donc pas plus que la société n'est neutre en matière de sexisme, elle ne l'est en matière de racisme et cela se ressent évidemment dans les tribunaux et les peines administrées. Je vous en avais déjà parlé , aux USA les femmes noires violées portent encore moins plainte que les blanches ; elles savent que l'accusation de viol a servi (depuis la fin du XIXeme siècle)  à enfermer, arrêter, torturer et assassiner des hommes noirs. Dans un de mes articles précédents, je soulignais également le racisme subi par une femme noire en banlieue si elle s'avise de porter plainte (on ne la croit tout simplement pas car "elle n'a pu être agressée par autre chose que des noirs et des arabes et ceux ci ne l'agresseraient pas vu qu'ils n'agressent pas dans leur propre groupe ethnique").

Il ne s'agit pas - je vous vois venir -  de délivrer un brevet du mérite aux "arabes qui violent leur femme" mais de tenir compte de ces faits là - sexisme et racisme - avant de parler de quoi que ce soit.

Quel doit être le but de la justice ? Quel est le but de la peine de prison ? On sait - c'est un constat maintes fois fait - que les peine de prison lourdes - au delà de 15 ans - détruisent le prisonnier et qu'il sera extrêmement difficile de le réinsérer ensuite car il sera cassé.
Que cherchons nous via la prison ?
Est ce la réparation du préjudice vécu par la victime ? Mais qu'est ce qui pourrait réparer ? La victime souhaite une seule chose ; que tout redevienne comme avant et cela ne peut lui être accordé.
Est ce la vengeance ?
Est ce l'idée de punir ? Doit-elle s'accompagner d'une idée d'une possible réinsertion ?
On ne cesse de nous dire qu'il y a un faible taux de récidive en matière de crimes sexuels. On oublie de nous dire que seuls 10% des viols font l'objets d'une plainte et que seuls 10% de ces 10% font l'objet d'une condamnation.  Il serait donc beaucoup plus honnête de nous dire qu'on n'a aucune idée du taux de récidive.
Est ce l'idée d'écarter un temps un humain de la société ?
Doit on investir de l'argent à sa réinsertion ?

Soyons clairs, nous ne sommes pas prêts aujourd'hui à faire autrement qu'avec la prison. Nous ne sommes pas prêts à dépenser de l'argent dans des peines alternatives (et pourtant la prison coute très cher), nous sommes encore moins prêts à dépenser de l'argent dans l'éducation. Nous savons pourtant que la prison appelle la prison. Nous savons également que beaucoup de détenus en sortent sans avoir rien compris, sans voir rien appris. Quand j'entends que des mineurs ont été condamnés  à X années pour un viol collectif et que leur avocat se dit inquiet car pas un n'a compris le verdict ni l'acte commis, je suis inquiète et je n'oublie pas. Je me demande comment on peut se satisfaire de cela.
j'avais évoqué dans un précédent texte le problème de la sanction au collège qui renforce les comportements virils des garçons. Pour être clair, la société commande à un garçon (via les rôles sociaux de sexe, le genre donc) de se comporter d'une telle manière. Il le fait ; il va être bagarreur par exemple. On le punit pour cela. La punition ne l'aide pas à changer son comportement mais va le renforcer car lui apporter du prestige auprès de ses camarades. Et vu qu'on approuve au fait pour un homme le fait de se bagarrer, la punition n'a aucune logique. Il en est strictement de même pour la prison ; au lieu de nous demander pourquoi il y a autant de prisonniers sont des hommes (on peut arguer que la justice est plus sévère avec les hommes ; c'est fort possible mais il y a aussi une socialisation qui pousse les hommes à adopter des comportements en apparence valorisés mais aussi réprimés), on préfère continuer à enfermer sans cesse plus, sans cesse mal.

Alors suis je pour les peines de prisons lourdes pour le viol ? (puisque c'est la question qui m'a été explicitement posée il y a peu). cette question ne veut rien dire en soi à moins de vouloir une justice automatique qui attribue des peines en fonction du crime commis et non plus du cas qui se présente à elle.
Veux je des peines de prison lourdes ? Mais pourquoi faire ? Est ce que cela va dissuader qui que ce soit ? Est ce que cela empêche la récidive ?

ps ; précisons de suite que vous ne connaissez rien de ma vie. donc l'argument "si tu avais vécu cela ou cela, tu serais pour la prison à vie", ne fonctionnera pas.