Sortir de l’euro pour recouvrer notre souveraineté monétaire ?

Publié le 14 février 2014 par Copeau @Contrepoints

Par Guillaume Nicoulaud.

Lors d’un épisode précédent, nous avons vu pourquoi l’argument anti-euro qui veut que des économies dissemblables ne peuvent partager une même monnaie n’était pas, en réalité, un argument anti-euro mais une critique de la politique monétaire en général.

Reste donc à traiter l’argument principal de ceux d’entre vous qui souhaitent abandonner l’euro pour revenir au franc : la monnaie unique, dites-vous, nous prive de notre souveraineté monétaire, revenir au franc c’est la recouvrer.

La souveraineté monétaire, comme vous le savez, c’est l’idée selon laquelle le pouvoir exclusif de battre monnaie est un attribut essentiel de la souveraineté d’un État — c’est-à-dire de sa capacité à exercer le monopole de la coercition sur son territoire. Au-delà de l’aspect purement symbolique, les raisons concrètes qui vous poussent à vouloir recouvrer cette part de souveraineté sont au nombre de deux ; voici vos arguments :

« En privant l’État de sa souveraineté monétaire, l’euro nous condamne à rembourser la dette publique. »

C’est tout à fait faux. Si votre politique consiste à renier les engagements que nous avons pris auprès de nos créanciers, il existe une méthode aussi simple, aussi radicale et à peine plus honorable : ça s’appelle un défaut de paiement.

En pratique, c’est à la portée de n’importe quel mauvais payeur : il suffit de déterminer les dettes que vous ne souhaitez pas honorer, de l’annoncer publiquement et de ne plus payer. C’est aussi simple que ça et vous n’avez naturellement rien à craindre de la « dictature des marchés » — Goldman Sachs, combien de bataillons ? — si ce n’est, bien sûr, qu’ils risquent de se montrer moins conciliants la prochaine fois que vous leur tendrez votre sébile.

La seule chose que l’euro vous oblige à faire en l’espèce, c’est de le faire franchement et d’assumer les conséquences de vos actes.

L’inflation, j’en conviens, est un outil bien pratique qui permet à un gouvernement « d’euthanasier les rentiers » discrètement tout en faisant porter le chapeau de son incurie à ses boucs émissaires traditionnels — spéculateurs, accapareurs et autres ennemis sans visage — mais ce n’est pas un outil digne d’une République. Si vous souhaitez euthanasier les rentiers, faites-le à visage découvert et taxez leur épargne.

Accessoirement, je précise que Madame Bettencourt n’a pas grand-chose à craindre d’une fiscalisation inflationniste. L’essentiel de son patrimoine est constitué d’actions — de l’Oréal — et se trouve par ailleurs géré par des professionnels tout à fait compétents qui sauront la mettre à l’abri. Les « rentiers » qui feront les frais de votre « euthanasie », se sont ceux dont le patrimoine est essentiellement constitué d’instruments monétaires ; c’est-à-dire les petits épargnants à commencer par ces retraités qui ont économisé toute leur vie pour améliorer l’ordinaire une fois l’heure de la retraite venue.

« En privant l’État de sa souveraineté monétaire, l’euro nous empêche de dévaluer pour améliorer notre compétitivité. »

C’est, là encore, parfaitement faux. Une dévaluation compétitive, en supposant que nos partenaires commerciaux ne répondent pas de la même manière, n’a d’effet sur la compétitivité à l’export d’une économie que si et seulement si les salaires ne s’ajustent pas. En d’autres termes, cette dévaluation du franc que vous vendez à votre clientèle politique n’est ni plus ni moins qu’une baisse générale des salaires réels.

Encore une fois : assumez que diable ! Si c’est ce que vous voulez faire, si vous envisagez sérieusement de saper le pouvoir d’achat des français dans le seul but de rétablir le sacrosaint équilibre de cette fable qu’est la balance commerciale, faites-le officiellement, votez une loi, et imposez une baisse générale des salaires.

La seule chose que l’euro vous empêche de faire, c’est de compter sur l’ignorance économique de nos compatriotes — surtout ceux qui n’ont pas connu les années 1950 — pour leur faire passer la pilule et, au passage, faire porter le chapeau aux boucs émissaires déjà évoqués plus haut.

Accessoirement, je signale que ce type de politiques n’a jamais enrichi que les actionnaires des banques et des entreprises exportatrices ; pour le commun des Français, la dévaluation compétitive ne se traduira que par un effondrement de leur pouvoir d’achat.

Bref, si votre stratégie consiste à truander vos créanciers et à taper massivement dans l’épargne des Français, faites-le au moins au grand jour et — de grâce — cessez d’accuser l’euro. Si votre stratégie consiste à imposer une réduction générale des salaires réels pour arrondir les fins de mois des entreprises exportatrices, là encore, de grâce, cessez d’accuser l’euro et assumez les conséquences de vos actes.


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