« Rendez-vous mardi matin à Pontoise vers 11h00, sur les quais. » m’avait dit Jean.
Pensez bien que j’étais à l’heure ce jour-là . La raison en est bien simple : accompagner Jean sur la péniche qu’il venait d’acheter en Hollande et la conduire jusqu’à Issy les moulineaux.
Une belle 39 m. Un peu déglinguée et puante de mazout, mais Jean était un bricoleur de génie et vivre sur une péniche, à la périphérie de Paris, était un rêve que beaucoup d’entre nous avions, à l’époque. De l’espace à foison, du romantisme à gogo et toujours fin prêt à balancer une ligne dans la flotte. Que demande l’homme ?
J’avais bien sûr attaché ma gaule sur ma Mobylette ce matin-là et quand je vis la péniche amarrée sur l’Oise, je n’avais qu’une envie ; sauter à bord, ce que je fis.
Jean rayonnait comme un adolescent venant de perdre son pucelage lorsqu’il me fit visiter son bateau. La cabine de pilotage avec son gouvernail tout patiné par les mains des anciens propriétaires, la chambre minuscule et la soute immense et noire que Jean avait lesté avec des parpaings de ciment. Tout ça était bien frustre mais beaux comme « l’Atalante » le merveilleux film de Jean Vigo ou Michel Simon sublime, chante : « Travadja la moukère, travadja, bono ! » en tortillant son torse tatoué. Une merveille.
Une fois ma Mobylette bien attachés, nous jetâmes les amarres et le moteur diesel démarra au premier tour de la clé de contact.
Ah! Le son de ce moteur ! Du John Cage avec, comme cadeau l’odeur en plus !
« Direction Paris » qu’il me fait, le Jean, en tournant la barre et poussant le moteur maximum.
C’était une merveilleuse journée de printemps que cette journée sur l’eau. Croisant des petits villages, les riverains nous faisaient de grands saluts et nous répondions joyeusement : « Belle journée, hein ? » et dressions nos pouces en l’air pour dire que l’on étaient heureux de vivre.
À quelques kilomètres de Paris, le fleuve se séparait en deux. Jean pris l’affluent de gauche. Politiquement, pour lui, cette décision était irrévocable. Pour ce qui était de la géographie, ce fut une grave erreur.
Rapidement, la rivière se rétrécit, le courant disparut et il n’était pas nécessaire de sortir de polytechnique pour constater qu’on aurait dû prendre à droite.
« Bon, Flèche c’est pas grave, je vais faire demi-tour ! »
Malheureusement, pour un néophyte, faire une manoeuvre comme ça avec une péniche de 39 m c’est pas comme avec une moto, ça prend de la place, une 39 m !
Nous allions finir le virage sans encombre lorsque, frôlant l’autre bord de la rivière, Jean ne put éviter un gros arbre penché au-dessus des flots, dont les branches maîtresses, comme un énorme bulldozer raclèrent toute la surface de la péniche.
Nous eûmes juste le temps de nous jeter à terre quand l’habitacle vola en éclats dans un bruit épouvantable.
Lorsque nous fîmes l’inventaire des dégâts, nous avions les larmes aux yeux . En plus, ma Mobylette et ma gaule étaient tombés à la baille et la péniche semblait sortie tout droit d’un film catastrophe. Des planches brisées en petits morceaux et des débris de verre jonchaient le sol, tout ce qui restait du poste de pilotage.
C’est en silence , presque en deuil que le reste de la péniche accosta enfin à l’endroit que Jean avait réservé , à Issy les Moulinaux.
Terminé le beau voyage, terminé la pêche à la ligne.
Mon ami Jean avait le coeur gros comme une pastèque, lorsque je le quittais.
Je ne pleurais pas longtemps sur la malchance de mon ami, car quelques mois plus tard, j’appris par hasard que ce salopard couchait depuis déjà un certain temps avec ma fiancée du moment.
J’eu alors envie, je l’avoue, de couler sa péniche de merde à coup de bazooka, ( j’ai toujours un bazooka datant de l’Indochine en reserve dans le garage; on ne sait jamais ! ) ce que je ne fis pas.
À la place, pour me consoler, je pissais abondamment dans le side-car de sa moto BMW dont je crevai les pneus à coups d’Opinel.
Et peu de temps après, je me trouvais une autre fiancée moins volage.