A côté de tout un tas de raisons plus ou moins foireuses, comme
-on a toujours besoin d’un plus petit que soi
-je veux plus jamais vider le lave-vaisselle
-faut bien quelqu’un pour payer ma retraite
pourquoi ai-je fait des enfants ? (j’aurais bien écrit, comme le sous-entend un langage plus soutenu, ais-je EU des enfants, mais le souvenir de la douleur des contractions m’en a empêchée.)
Je n’en sais rien. Parce que passé trois ans, il ne faut plus les sortir quatre fois par jour comme les chiens ou vider la litière comme les chats (quoique)?
En fait, c’était pas vraiment la question posée. La question de Monique-Louise, c’était
Mais quel genre d’optimisme ont les gens qui mettent des enfants au monde?
Je me souviens, c’était un jour de septembre 2001, peu après quatorze heures. Je descendais l’escalier de mon duplex, comme sonnée, la Collégienne alors âgée de deux mois dans les bras.
Allume la télé, c’est la guerre, venait de me dire sa marraine dans un souffle.
J’ai serré ma fille contre moi, et je me suis demandé pour la première fois comment j’allais pouvoir la protéger dans ce monde devenu fou.
Il était un peu tard. Mais force est de constater que je ne me suis pas plus posé la question pour les suivants. J’aurais pu : nous avons désiré chacun d’entre eux l’un après l’autre, nous n’avons jamais fait de plan à long terme, et si un inattendu pointait son nez, il serait le bienvenu comme les autres malgré mon grand âge et mes cernes.
Alors pourquoi ?
Parce que, Louise. Ca me paraît suffisant à moi, comme réponse. Parce que tu vois, je n’y pense pas. Parfois, une bouffée d’angoisse m’assaille quand je pense à l’avenir, à peut-être qu’ils vont souffrir, vite chassée par une partie de chatouilles, et, au besoin, quelques grammes de chocolat.
Pour la joie, pour la vie qui change, pour le joyeux bordel dans le salon, pour les traces de doigts sur les vitres, pour les rires cristallins, pour les cris, pour le sens, pour les regarder, pour renoncer à dormir à tout jamais, pour dégouliner de fierté, pour le partage, pour transmettre, pour les parties de Pictionary, pour justifier un peu de gras mou, pour parler de ses accouchements comme d’autres en leur temps des tranchées, pour les tablées et la porte toujours ouverte, pour croquer sans scrupule des pieds trop mignons qui sentent le Kiri, pour les kilos de pâtes et les dizaines de yaourts, parce que le congé de maternité c’est tout de même rudement cool, pour les caddies de supermarché qui débordent, pour pas mourir vieux et con (vieux tout court ça suffira bien), pour les miettes de gâteaux dans la voiture, parce que se dire qu’on a donné la vie ça a quand-même de la gueule, pour les sms ouatedephoque, pour l’odeur des gâteaux dans le four, pour les émotions, pour les nœuds au ventre, parce que l’amour, parce que c’est drôle, pour jamais s’ennuyer, pour avoir de quoi se plaindre un peu parfois, pour être interrompue cent fois dans une phrase, tous les jours sous la douche et régulièrement aux toilettes, pour les « je t’aime » et les « t’es belle », pour écrire des billets niais, pour ne jamais arriver à être riche un jour sauf de ce qui ne s’achète pas, parce qu’ils font oublier tout le reste, justement. Pour le tourbillon. Pour la vie.
Parce que cette question n’a pas vraiment de réponse, ou alors tellement. Mais je te remercie de l’avoir posée.