Une menace pour la droite
Quand un gouvernement, comme ceux des présidences Chirac puis Sarkozy entre 2002 et 2012, se réclament de la sacro-sainte bonne gestion, les constats de la Cour des Comptes peuvent faire mal, très mal. En un quinquennat sarkozyste, l'institution nous a permis d'évaluer combien le non-remplacement d'un fonctionnaire partant à la retraite sur deux est une gigantesque imposture à motif idéologique: Sarkozy démembra des corps publics essentiels comme la police ou l'Education sans même parvenir à réduire le coût de la fonction publique d'autre chose que quelques dizaines de millions d'euros.
Placé sous le signe du redressement des finances publiques depuis son premier jour, le quinquennat Hollande risque une autre souffrance quand il est confronté à ces bilans périodiques. Il s'agit moins de constater une dégradation des comptes puisqu'au contraire ces derniers s'améliorent. Et l'héritage sarkozyste fut si terrifiant d'incompétence budgétaire que même ses plus proches soutiens de l'époque (Fillon, Copé) s'en détachent aujourd'hui.
Pour Hollande, le danger de ces critiques est ailleurs.
Comme avant, la Cour répète qu'il faut économiser puisque les recettes sont insuffisantes. Et comme avant, la Cour répète que le levier fiscal a ses limites. Nous connaissons la déduction: il faut réduire les dépenses, notamment sociales. Or cette austérité-ci est l'un des derniers tabous de la présidence Hollande. On peut lui reprocher, on lui reproche, à gauche, sa politique exclusivement de l'offre - pacte de responsabilité, réduction des cotisations sociales. On lui reproche la faiblesse de sa politique sociale - revalorisation a minima des minima sociaux. Mais la mandature Hollande tient encore bon sur l'essentiel des droits sociaux.
Comme le rappelait le Monde, l'essentiel des économies sur la Sécu réalisées par l'équipe Hollande ont épargné les patients: 44% des 4,4 milliards d'euros d'économies sur les dépenses de santé votées depuis l'élection de Hollande concernaient les laboratoires pharmaceutiques (31% chez Sarkozy); 15% les hôpitaux (12% sous Sarkozy), 25% les prescriptions (27% sous Sarkozy), 0% les patients (12% sous Sarkozy). Aucun déremboursement n'a été voté ni décidé.
Nicolas Sarkozy s'était trouvé un contre-feu, le Revenu de Solidarité Active, pour masquer ses autres saloperies sociales ("offre raisonnable d'emploi" en octobre 2009, nouvelles franchises médicales, suppression de lits d'hôpitaux, etc). Le gouvernement Hollande n'a pas touché à la protection sociale. Inutile de penser que ce constat le sert politiquement. C'est factuel, et tristement minimaliste.
Le propos de la Cour des Comptes, devant la dégradation des soldes sociales, est sans appel. C'est un autre ancien socialiste, nommé à ce poste par Nicolas Sarkozy qui voulait jouer à l'ouverture, qui préside encore l'institution pour nous asséner ces mauvaises recommandations.
"Le respect des objectifs de déficit fixés pour 2014 demeure incertain. Des efforts structurels supplémentaires devront être consentis au cours des années suivantes, avec notamment un fort ralentissement de la croissance des dépenses, pour revenir à l’équilibre structurel des comptes publics." Cour des Comptes.La Cour cible la protection sociale et les collectivités territoriales. La presse retient facilement les rares idées choc: désindexer les prestations sociales (allocations logement, chômage, famille) de l'évolution de l'inflation. Cette dernière est certes faible, mais la nouvelle est mauvaise, très mauvaise; ou fermer des lits d'hôpitaux. Nous sommes comme avant un match de boxe. On fait monter le suspense, la pression à l'économie à son maximum.
On oublie le reste
Car l'essentiel de nos médias (*) passent sous silence l'essentiel du rapport de la Cour. Il y a pourtant plein de choses bien intéressantes et si contradictoires d'avec la doxa néo-libérale ambiante. Ainsi, dénonce-t-elle la coopération franco-britannique en matière de porte-avions ("une perte nette pour les finances publiques françaises"); les défaillances de la sécurité sanitaire de l’alimentation ("insuffisance des contrôles du ministère de l’agriculture"), les faiblesses de la fiscalité liée au handicap, les inégalités en matière de soins en milieu pénitentiaire ("fortes disparités régionales et locales"; "prégnance des problématiques de santé mentale en détention").
Bref, on ne retient que ce qui arrange le discours général. Ces pressions ne seraient pourtant rien ou pas grand chose si le propos de la Cour des Comptes restaient isolé. Mais voici que le gouvernement en rajoute à son tour. La chasse aux 50 milliards d'euros d'économies 2015-2017 est paraît-il ouverte.
Par exemple, le gel temporaire de l'avancement des fonctionnaires, paraît-il à l'étude au sein du gouvernement, est d'une bêtise politique crasse, et d'une imposture sociale rare.
Cette histoire-là, potentiellement politiquement désastreuse, ne fait que débuter.
Ou pas.
Lire le rapport de la Cour des Comptes
(*) Lire une belle exception, le résumé établi par le Monde