L’aidant est trop souvent cet être transparent, bien qu’omniprésent, qui donne un coup de main, qui gère le quotidien mais qu’on a tendance à ne pas voir, à ne pas entendre, tant l’attention reste focalisée sur le handicap de l’autre.
Nous traitons ici du ressenti de l’aidant dans la relation valide-handicapé, tout en gardant à l’esprit le caractère unique de chaque relation et les situations diverses qu’elle génère.
« Des aides qui sont des occasions substitutives de se toucher. »
L’entourage, les amis, ne tarissent pas d’éloge sur cet aidant providentiel qui, par amour, aide son compagnon ou sa compagne en situation de handicap. Il ou elle a trouvé la perle rare, le chevalier servant dévoué, celui qui a fait fi des mentalités discriminantes. C’est animé d’un flamboyant désir de servir, presque missionné, qu’il a considéré que c’était sa place d’aidant-aimant de palier la déficience de l’être aimé par des gestes, des actes, des attentions qui sont les prolongements naturels de l’amour qu’il lui porte. Un amour qui ne s’épanouit pas toujours dans la relation sexuelle, qui doit s’adapter aux limitations physiques. Des aides qui sont des occasions substitutives de se toucher, des gestes-caresses qui font la richesse de l’amour en situation de handicap. Mais aussi son piège fatal.
Ce que tu ne peux pas faire, je le fais à ta place. L’aidant en arrive même à devancer les gestes, à deviner les intentions de l’autre, empiétant inconsciemment sur son autonomie. Car confier ce rôle à une « personne étrangère », à un professionnel de l’aide, c’est pour l’aidant-aimant une quasi-impossibilité, tant le sentiment d’abandon, de culpabilisation prédomine. Le handicap fait partie de notre amour et je dois m’y investir totalement.
« Le handicap a pris toute la place de l’intime. »
Si la relation valide-handicapé perdure dans le temps, l’aidant a tellement aidé, tellement porté, que son corps physique est fatigué et son psychisme conditionné par la situation handicapante. Le dos le fait souffrir, le manque de sommeil plombe ses journées et il se surprend à évaluer, lui-aussi, l’accessibilité d’un lieu : par exemple, à compter les marches qui rendent une entrée inaccessible à un fauteuil roulant. Au fil du temps, l’aidant devient un handicapé par procuration.
Si ce n’était que cela, comme tout un chacun, sa compagne ou son compagnon handicapé vieillit. Son handicap devient plus lourd, plus contraignant. Et cette lourdeur, ce poids des ans doublé de celui du handicap, étiole un peu plus chaque jour la musique des sentiments. Aux tensions du corps stigmatisé s’ajoutent celles du couple. Le handicap a pris toute la place de l’intime.
L’entourage demeure parfois incrédule face à cette situation nouvelle car il aime l’image idéale, auréolée d’amour et de compassion, de l’aidant qui se dévoue sans compter et ne ménage pas ses forces. C’est donc souvent avec une certaine dose d’incompréhension qu’il le juge. Abandon, désertion, leurs mots ne sont jamais assez forts car il considère que c’est en connaissance de cause que l’aidant-aimant a choisi de vivre sa relation singulière et qu’il doit l’assumer jusqu’au bout.
« Partir ou subir, tel est le choix qu’il lui reste. »
L’aidant ne veut pas décevoir. Il se sent vidé de son rôle, dépossédé de son auréole, contemplant le gouffre sans fin des années passées à aider. D’ailleurs, une aide à la personne l’a remplacé sans que cela ne pose le moindre problème d’organisation. Tout ce temps pour rien ? Une vie gâchée ? Partir ou subir, tel est le choix qu’il lui reste jusqu’à extinction d’un couple redevenu banalement ordinaire dans sa désagrégation.
Comment ne pas en arriver là ? Il est nécessaire que l’entourage du couple ne néglige pas de porter attention au valide, à l’aidant, qui affronte, lui aussi, un quotidien souvent difficile, qui partage les mêmes frustrations, les mêmes regards, la même confrontation sociétale à la différence. Rien de comparable à celui ou celle qui vit le handicap dans son corps mais tout aussi douloureux quand on partage un amour handicapé.
On ne saurait trop conseiller à ces couples valide-handicapé – que la société considère encore trop souvent comme hors norme – de prendre dès le début les bonnes mesures en séparant l’aide au quotidien confiée à des professionnels, de la vie de couple proprement dite. Une sage décision qui contribuera à préserver la vie de couple au fil des années. Heureux, même différents.
Philippe Barraqué, thérapeute, auteur d’ouvrages et de méthodes sur la santé et le bien-être
Plus d’infos: www.handicapchallenge.fr
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