Décidément, les Sonates pour viole de gambe et clavecin de Johann Sebastian Bach sont une destination de choix pour les musiciens. Il y a tout juste deux ans, Alpha offrait à Lucile Boulanger et Arnaud De Pasquale de consacrer leur premier disque à ces œuvres ; le succès critique et public fut immédiat, tant les deux jeunes interprètes réussissaient à porter sur ces pièces bien connues et servies par les plus grands un regard plein de fraîcheur et de sensualité.
On peut être légitimement surpris, à un moment où la crise freine un certain nombre de projets, que Zig-Zag Territoires qui, comme Alpha, fait partie du groupe Outhere music, propose aujourd'hui un enregistrement qui doublonne largement avec le précédent, lequel n'est quand même pas bien ancien. Le nouveau venu, s'il ne bouleverse pas la discographie – et il me semble que ce n'était d'ailleurs pas son propos –, ne manque pas cependant ni d'atouts, ni de charme. Marianne Muller et Françoise Lengellé ont choisi de très beaux instruments, des copies de deux violes à six cordes réalisées par Pierre Jacquier au caractère assez différent (un modèle anglo-allemand fluide et lumineux et un modèle alla bastarda dont la sonorité charnue se rapproche parfois plus de celle du violoncelle) pour l'une, et une très belle réplique d'un clavecin construit en 1739 par Johann Heinrich Gräbner à Dresde pour l'autre. Les timbres se mêlent et se répondent très heureusement, avec un équilibre savamment dosé entre rondeur et transparence, bien mis en valeur par une prise de son soignée. Les deux musiciennes, complices de longue date, proposent un Bach très classique d'esprit et de proportions : les dialogues sont conduits avec noblesse (parfois un peu trop, comme dans le mouvement initial de BWV 1029, assez peu vivace), les ornementations réalisées avec une élégance dont le naturel évite toute surcharge, les mouvements de tempo modéré prennent le temps de laisser s'épanouir le chant dont ils sont empreints. Cette vison apaisée, nourrie d'intelligence et d'expérience, est touchante à de nombreux moments, justement parce qu'on sent qu'elle avance toujours sur le fil de la connivence qui unit Marianne Muller et Françoise Lengellé, ce qui lui donne une qualité d'intimité qui est probablement moins marquante dans les lectures qui, en se plaçant délibérément dans l'optique du concert, misent sur une atmosphère plus déliée, plus brillante. L'appréciation que l'on portera sur cette nouveauté sera donc largement influencée par ce que l'on attend de ces Sonates, mais il me semble que, pour la chaleureuse humanité qu'elle dégage, cette réalisation mérite d'être signalée et écoutée.
Johann Sebastian Bach (1685-1750), Sonates pour viole de gambe et clavecin BWV 1027-1029, transcription de la Sonate pour violon et clavecin BWV 1019
Marianne Muller, viole de gambe
Françoise Lengellé, clavecin
1 CD [durée totale : 71'09"] Zig-Zag Territoires ZZT 340. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.