Et si les oeuvres changeaient d'auteur ? est un essai de l'universitaire Pierre Bayard paru en octobre 2010 aux éditions de Minuit.
Le postulat de départ de Pierre Bayard est simple et clairement annoncé en guise de prologue : et si nous remplacions un auteur par un autre, parce que nous le jugeons plus approprié à une oeuvre donnée ? Et si finalement la notion d'auteur était une notion mobile qui s'accorderait à un instant t à une oeuvre, pour mieux en changer ensuite, pour permettre une lecture protéiforme des oeuvres ?En s'appuyant sur l'analyse de différentes oeuvres auxquelles il attribue d'autres auteurs que ceux communément admis - L'Odysée aurait ainsi été écrit par une écrivaine grecque, Dom Juan par Corneille et L'Etranger par Kafka, par exemple - Pierre Bayard développe sa thèse des possibles filiations entre oeuvres et auteurs pour mieux permettre à son lecteur de réfléchir à la perception que l'on se fait d'une oeuvre selon l'auteur qui lui est attribué et comment, en changeant de paradigme, une même oeuvre peut être perçue d'une manière totalement différente.
Brillant, comme chacun des essais de Pierre Bayard, Et si les oeuvres changeaient d'auteur ? se présente une nouvelle fois comme une réflexion novatrice qui met à mal les conventions de la littérature pour mieux s'interroger. Son idée de réattribuer un auteur à une oeuvre pour lire cette dernière différemment permet de réfléchir à l'importance que revêt un auteur - dans toute sa complexité - sur la réception de son oeuvre. A l'aune de cette réflexion, le personnage de Dom Juan, s'il avait été écrit par Corneille et non Molière, n'apparaît plus comme un séducteur perverti, quintessence du mal, mais comme un symbole de la quête de soi et de la réalisation personnelle, envers et contre tout. Un véritable héros cornélien en somme. Lecture délectable, qui me replonge innocemment dans mes souvenirs d'études de lettres, Et si les oeuvres changeaient d'auteur ? demeure accessible et évite l'écueil d'un essai littéraire élitiste. Comme à chaque fois avec Pierre Bayard, je me suis régalée. Et maintenant je ne regarderai plus certaines oeuvres comme avant et je ne pourrai m'empêcher de laisser mon esprit vagabonder : et si finalement Madame Bovary avait été écrit par Tolstoï ?Merci soeurette ! Tu m'avais offert cet essai pour le premier bloganniversaire de Bouquinbourg. Plus de trois ans plus tard, je le lis. Bel effort de rapidité, je sais...
"Ce droit à la fiction apparaît comme plus légitime encore quand on reconnaît que l'inconscient joue un rôle déterminant dans notre réception de la littérature et que l'activité imaginaire, de ce fait, ne constitue nullement une part secondaire de la lecture, mais le coeur même de la relation que nous entretenons avec les oeuvres." (p.13)
"Tout nom d'auteur est un roman. Loin d'être un simple mot, il attire autour de lui toute une série d'images ou de représentations, tant personnelles que collectives, qui viennent interférer avec le texte et en conditionnent la lecture." (p.27)
"C'est que la mise en perspective, si elle peut prendre la forme radicale du choix d'un pseudonyme, voire de l'invention d'une identité alternative ou d'une incarnation physique, est un mouvement beaucoup plus large de modification de sa propre image à laquelle tout écrivain participe dès qu'il entreprend de transformer tel ou tel élément de sa biographie pour la rendre plus cohérente avec la représentation qu'il souhaite laisser de lui-même et les lectures de son oeuvre qu'il entend promouvoir." (p.62)
"Préserver le dynamisme du texte et l'intérêt de la lecture en prônant le recours systématique à l'attribution mobile, c'est donc prendre la mesure de tous les mondes possibles qui se rencontrent en chaque oeuvre et de tous les auteurs qui auraient pu l'écrire, et, loin de s'arrêter à telle filiation définitive, nouer sans cesse, entre les écrivains et les textes, de nouvelles unions." (p.151-152)