Les Jumelles de Tessa de Loo

Par Grandlivredumois

Quelle probabilité y avait-il pour que ces deux femmes se retrouvent, au crépuscule de leur vie, dans le même lieu au même moment ? Quasiment aucune. C'est donc bien par un fait extraordinaire que Lotte et Anna viennent, à la même période des années 1990, suivre une cure thermale à Spa, en Wallonie.

Car, bien que soeurs - et jumelles qui plus est ! -, séparées dès la plus tendre enfance par un drame familial, puis par les tourments de l'histoire, elles ne se sont pas revues depuis des décennies... Nées Allemandes, elles ont grandi l'une dans leur pays natal, l'autre en Hollande, l'une chez un oncle sans argent, l'autre chez des cousins éloignés dans un milieu aisé. Que peut-on se dire et qu'est-il possible de rattraper après tout ce temps ? D'autant que, bien plus que les années, les événements du siècle écoulé semblent avoir irrémédiablement divisé celles qui, autrefois, étaient tout l'une pour l'autre...

L'extrait : De touchantes retrouvailles

« — Excusez-moi, madame..., lança la femme en s’adressant soudain à elle, dans un français scolaire, la voix légèrement hésitante. C’est permis... Est-ce qu’on peut... boire cette eau ?
L’histoire qui suit n’aurait pas eu lieu si Lotte avait à son tour répondu en français. Mais sans réfléchir, elle répondit en allemand :
— Oui, das Wasser können Sie trinken.
— Ça alors ! fit la femme en oubliant l’eau et en revenant sur ses pas en direction du lit de Lotte avant de s’écrier joyeusement : vous êtes allemande !
— Non, si, non..., bredouilla Lotte. (...)
— Je suis originaire de Cologne, admit Lotte, sur le ton morne d’un prévenu auquel on extorque un aveu.
Cologne ! Mais moi aussi, je suis de Cologne ! (...) J’aimerais que vous me disiez de quel quartier vous venez. (...)
— Je ne me souviens plus, on m’a emmenée en Hollande quand j’avais six ans.
— Six ans, répéta la femme d’une voix ardente. Six ans.
— Je me rappelle seulement, fit Lotte hésitante, que nous habitions dans un casino... ou dans un bâtiment qui avait été autrefois un casino.
— Ce n’est pas vrai ! Mais ce n’est pas vrai ! lâcha l’Allemande d’une voix brisée par l’émotion.
Elle se prit la tête entre les mains, pressa ses doigts contre ses tempes.
— Ce n’est pas possible ! (...) Ma Lotchen, gémit-elle, tu ne comprends donc pas ? Tu ne comprends pas ?
Coincée entre la colonne et le corps de l’Allemande, Lotte fut prise de vertige. (...)
— Toi... meine Liebe, lui dit la femme à l’oreille, c’est moi, Anna ! »