Ce mercredi soir, Paris accueillait deux gentlemen farmers. L’un roule sa bosse depuis déjà pas mal d’années. Bill Callahan. Il posait ses valises à la Cigale. Je n’y étais pas. L’autre est relativement inconnu du grand public. Injustement d’ailleurs. The Wooden Wolf. C’est Justine qui avait déniché cette perle. Je l’avais jalousé de ne pas être tombée la première sur ce garçon. Je m’en suis voulu d’être passée à côté. Il a fallu qu’une écoute pour que je succombe instantanément aux charmes de ses chansons sans âges, brutes, épurées au possible. Je retrouvais un côté Dirty Three et Jason Molina dans les chansons de The Wooden Wolf. Ca me parle, forcément j’aime. Je guette alors ses passages à Paris, me jurant de ne pas le louper s’il venait chez nous.
Ce mercredi soir, il jouait donc au Pop In. Une salle en sous-sol, un son dégueulasse. En vrai, je me tâtais à y aller. La pluie, le froid, l’hiver jouaient sur ma motivation qui est de tout sauf de fer. Le moral est en berne, mes bras ressemblent à ceux d’une toxicomane, trois piqûres en deux jours, ça pompe pas mal d’énergie. Auto-motivation : je ne sais pas quand The Wooden Wolf repassera à Paris. Ok. Je me décide à braver la pluie et à sortir ma gueule de mort-vivante. Bien m’en a pris. Le temps d’un concert, j’ai oublié que je n’allais pas bien, que j’étais fatiguée et combien je déteste le mois de février. Le folk comme pansement de l’âme. Comme pansement tout court.
Le Pop In donc. Assis sur une chaise d’écolier, avec son look de bûcheron canadien, Alex Keiling n’a que sa guitare, son classeur plein de notes et de chansons et un gros sac qu’il cache derrière lui. Le concert était annoncé à 21h. Il ne débutera qu’une heure après. Pas de co-plateau pourtant. Il n’y a que The Wooden Wolf de prévu ce soir. Seul. Moi, ça m’arrange, je préfère écouter les chansons brutes, sans accompagnement ou fioritures parfois inutiles. Lui, ça l’arrange un peu aussi. Même s’il dit que le violoncelle et la contrebasse manquent, dans cette formation limitée il s’accorde quelques fantaisies : essayer des chansons qu’il a écrites et composées, dans le train, quelques heures plus tôt. Décider de la setlist au fur et à mesure que le concert se déroule. Chanter pendant 1h30. On n’a pas vu le temps filé, il semblait suspendu dans cette cave froide du Pop In. Nous, public, on était tous suspendus aussi, à ses lèvres. Religieusement, on écoutait ses chansons d’amours foirés et ses chansons d’alcooliques. « Je n’ai jamais dit que c’était autobiographique », rigole le garçon. Il est permis de se poser la question.
Entre deux titres et deux gorgées de bières, il raconte la genèse de ses chansons tristes. Un film, une cigarette qu’on essaie d’allumer sous la pluie, mais qui ne prend pas parce qu’elle est trempée… « Comme les relations, parfois on essaie, on grille toute la boîte d’allumette et ça ne s’embrase pas ». Ca te renvoie forcément à tes propres histoires. Et puis, il écrit quelques déclarations d’amour aussi, comme à cette Louise. Il ne la connait pas. Il raconte qu’un jour, un mec l’appelle par erreur, persuadé de trouver sa Louise au bout du fil. « J’ai merdé Louise, tout est de ma faute…». A partir de cet appel désespéré tombé dans la mauvaise oreille, Alex écrit une déclaration d’amour. Je. Moi. Toutes les filles de la salle, auraient voulu être une Louise au moment où il chante cette chanson.
Pendant cette heure et demi, The Wooden Wolf parcourt son classeur de chansons, posé à ses pieds. On reconnaît celles des albums ("Palace of Sin", "Your Drinking Shoulders"…) et puis il y a d’autres chansons qu’il chante pour la première fois… Et pour finir sur une note plus joyeuse – plus Woodstock aussi – il reprend deux standards de la musique : "This boots Are Made For Walking" de Nancy Sinatra et "Feel Like I’m Fixing To Die". On n’est pas debout comme pendant le festival, mais on chante tous avec lui.
Ce mercredi soir, The Wooden Wolf m’a fait pleurer. Trois fois. Il m’a aussi rappelé pourquoi j’ai ouvert ce blog, il y a trois ans : pour ces concerts magiques dans les caves parisiennes au son dégueu et pour ces beaux moments de folk.
Photo en Une : Olivier Graille