Fiche technique :
Avec Michael Pitt, Lukas Haas, Asia Argento, Scott Green, Nicole Vicius, Ricky Jay, Kim Gordon, Harmony Korine, Ryan Orion, The Hermitt,
Adam Friberg, Andy Friberg, Thadeus A. Thomas, Chip Marks, Kurt Loder, Michael Azzerad et Chris Monlux. Réalisation : Gus Van Sant. Scénario : Gus Van Sant. Directeur de la
photographie : Harris Savides. Monteur : Gus Van Sant.
Durée : 97 mn. Disponible en VO et VOST.
Résumé :
Blake, artiste replié sur lui-même, fléchit sous le poids de la célébrité, du succès et d'un sentiment d'isolement croissant. Réfugié dans
une maison au milieu des bois, il tente d'échapper à sa vie, à son entourage et à ses obligations. Il regarde, écoute, et attend la délivrance.
L’avis de merovingien02:
Gus Van Sant persiste et signe. Si une très large partie de sa filmographie reste mystérieusement invisible en France (en gros, ça va de Fun With Bloodroot en 1967 à Drugstore Cow-boy en passant par un grand nombre de courts-métrages), il est devenu la coqueluche des festivaliers avec sa fausse trilogie sur l'errance. Gerry est passé inaperçu, Elephant fut la révélation machin chose que tout le monde admire (pourtant, le film est très loin d'être exempt de défauts). Last Days poursuit dans cette voie... et fait éclater au grand jour les limites du soit disant génie.
Parce que pour quiconque a vu Gerry et Elephant, Last Days passera au mieux comme un complément naturaliste pouet pouet, au pire pour une redite lourdaude. La
thématique n'a pas changé d'un iota. On y parle de personnages qui errent, de mort (les trois films se concluent là-dessus), de quête d'identité... Le tout sur un ton naturaliste qui tourne
cette fois-ci au vide complet. Car si dans les deux précédents métrages de ce cycle Van Sant justifiait plus ou moins ses choix narratifs et esthétiques, il n'en est (presque) plus rien.
Soyons clairs : les 40 premières minutes sont fulgurantes, suivant son héros dans les dédales de sa folie, communiant avec la nature et faisant perdre au spectateur les repères de son
identité (travestissement, démarche de poupée désarticulée, dialogues dans le vide).
Michael Pitt est absolument renversant, confirmant son immense talent déjà visible dans Edwig. Semblant se vider littéralement de l'intérieur, le regard vide, les mouvements étranges, il est l'incarnation même de la folie, de la rupture psychologique avec le monde extérieur. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le film se déroule en grande partie dans une maison à l'« abandon », délabrée et semblant envahie par la végétation. Le travail sonore est épatant, mixant des sons de la nature comme s'il s'agissait de notes de musique (la cascade du début, le feu qui crépite) afin de marquer l'ode à la nature que prétend être Last Day, plus particulièrement quand Blake est associé à des bruits d'eau qui se déplace (le son de l'eau remplace le bruit des pas).
En travaillant sur de longs plans séquences devenus pratiquement sa marque de fabrique (les plans à la Steadycam filmant le héros avançant de dos ont déjà été vu dans Elephant), Gus Van Sant instaure un climat d'apesanteur filmique fascinant, pour peu que l'on adhère au procédé qui consiste à tout filmer à deux à l'heure. Finalement, Last Day apparaît rapidement comme une œuvre étant loin de retracer les derniers jours de Kurt Kobain. Bien entendu, le film a été vendu ainsi (le film est dédié à l'icône musicale) mais ce ne semble finalement pas être à une reconstitution que le film nous convie. En effet, rien que le nom du héros n'a rien à voir. Sur ce point, il faut bien admettre que l'on peut être déçu, particulièrement quand le héros entonne « Death and Rebirth » (peut-être la scène la plus forte du film) ou encore lorsqu'il reçoit la visite de Donovan (s'agit-il du chanteur ?). Bio officieuse ? Dommage que le film ne tranche jamais tout à fait, mais sur ce coup-là, on ne peut pas dire que l'on n'avait pas été prévenu, surtout après la vague inspiration du massacre de Columbine qu'affichait Elephant.
Mais Last Days (tout est dans le titre) n'en demeure pas moins une œuvre avant tout sensorielle, se reposant sur ses longues pauses contemplatives sur la déchéance de Blake et un jeu
sonore réussi. On pense ainsi au chant religieux précédant le suicide de celui-ci ou bien les ruptures entre silence et forts décibels. Dans ce cas précis de rupture sonore, la musique qui
est le point central de la vie de Blake devient une manière libératrice de quitter notre monde (voir cet intermède musical en plan séquence où, dans un discret mais long travelling arrière,
on s'éloigne de la maison) avant de sombrer dans le néant qui l'habite. Car les multiples gestes anecdotiques effectués par Blake comme verser des céréales deviennent incohérents, étranges et
en phase avec la folie progressive.
Last Day est donc, d'un point de vue formel assez réussi. On s'en
convaincra par exemple lors de la mort de Blake, quand son âme quitte son corps dans une vision d'une poésie hypnotique (le reflet, le corps qui grimpe sur les carreaux comme s'il s'agissait
de barreaux d'échelle) ou encore lors du regard qui précède, halluciné et hallucinant. Mais aussi habile que peut être Gus Van Sant pour instaurer une ambiance fantomatique dans un univers
terriblement concret, son talent se casse la gueule dès lors qu'il s'immisce dans la vie de personnages secondaires à l'utilité plus que discutable. En effet, comme pour renforcer la solitude
de Blake ainsi que la tristesse de sa mort se déroulant dans l'anonymat le plus total, le réalisateur se focalise dans la deuxième partie du film sur un groupe de jeunes gens vivant avec
Blake. Problème : on ne comprend absolument rien à leur identité et encore moins aux relations qu'ils entretiennent avec Blake ni même entre eux. Il faut noter que ces figures secondaires
portent les noms des comédiens les interprétant, renforçant d'une part l'aspect documentaire de la chose mais soulevant l'embarras sur leur signification dans le récit. Dire qu'ils mettent en
avant l'isolement de Blake serait exagéré puisqu'une discussion à propos de l'enfant de Blake souligne suffisamment à quel degré il s'est coupé du monde. Les prénoms étant identiques à ceux
des comédiens sont-ils une manière de signifier que les fans de Kobain l'ont dans un sens tué ?
Si cette piste reste à explorer et demeure plus ou moins valide (ce qui, dans un film conceptuel comme celui-ci n'est donc pas un défaut), il n'empêche que la façon dont ils sont rattachés au récit est vraiment trop floue. Ainsi, on peut se demander à quoi bon faire coucher deux des mecs ensemble car rien ne justifie cela ni n'apporte quoique ce soit (Van Sant étant homo, il est évident qu'il n'a pu s'empêcher d'y glisser une allusion, sauf que là, elle dévie le sujet du film et n'apporte rien du tout). De plus, on ne manquera pas de s'interroger sur la déstructuration du récit complètement artificiel et renforçant le côté péteux de l'œuvre. Car si dans Elephant le montage non chronologique permettait de mettre les jeunes face à leur solitude, ici, cela n'aboutit à aucune réflexion, les deux points de vue sur une séquence différente apparaissant comme un simple gadget. La faute sans doute à ces personnages secondaires complètement creux.
Creux, c'est finalement l'impression que laisse le film au final. Trop long et trop semblable aux précédents travaux du réalisateur, ce bel objet aux premiers abords passionnants tombe dans
une forme de remplissage qui nuit à son impact émotionnel. Ce héros déambulant comme un zombi aurait pu faire plus d'effet sur une heure. Mais son abstraction sombre, hélas un poil trop, dans
l'auto satisfaction de l'auteur. Dommage. Allez Gus, passe à autre chose, s'il te plait...
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