Où l’on apprend qu’un film turc n’est pas un film américain, qu’il est bon de faire des étirements après avoir couru (on le savait déjà, mais bon…) et que décidément, je suis incapable d’être méchant, et pire que tout, rancunier…
Samedi 08.02
Le vent a encore soufflé toute la nuit, me vitrifiant l’humeur qui devient fort méchante. Le vent ou la fatigue, je ne sais plus bien mais voilà, je me sens irritable, mais c’est aussi parce que je sais que je ne fais pas grand-chose en ce moment, je me laisse un peu porter et ça, c’est insupportable.
Nous sommes allés courir hier, à cinq, en faisant le tour de la base de loisirs de Cergy, jusqu’à ce qu’une méchante douleur se réveille dans l’aine et derrière le genou, j’ai continué, j’étais épuisé, alors j’ai fini par m’endormir sur le canapé après m’être douché, sans demander mon reste. Ce matin, je les sens bien les kilomètres, mais c’est moins pire que ce que j’avais imaginé.
Vers 17h30, le ciel devient jaune et la pluie tombe drue ; je reviens de faire quelques courses et j’ai l’impression de ne plus bien savoir quelle heure il est.
Lundi 10.02
Le réveil me surprend ; il est encore tôt et il fait froid. J’ai l’impression d’être un petit vieux quand je saute du lit au canapé en me recouvrant du plaid rouge. Une pensée me saisit au rebond ; je ne suis pas né dans la pourpre mais tous les matins je m’en enrobe pour renaître. Quel symbolisme curieux y voir ?
Départ dans neuf jours, je n’ai encore rien préparé, et l’angoisse de chacune de mes excursions me saisit à nouveau, paralysant mes nerfs, me rendant incapable de prendre des décisions. Je déteste cet état qui me rend léthargique. Je m’interroge sans cesse sur ce que je dois emmener comme vêtement, crains d’avoir froid dans l’avion, d’avoir trop chaud une fois sur place, et entre la maison et l’aéroport, comment je m’habille ; en bref, tout ceci sont des préoccupations bien futiles à côté de tout le reste.
Mardi 11.02
Tous les matins, je ne déroge pas à la règle que je me suis fixée ; une heure de lecture au minimum. Je ne m’accorde une pause que le week-end, profitant quand-même de ce moment de repos indispensable. Lire est un viatique pour l’enfer ; cela permet de s’extraire du monde, tout en prenant la réalité de ceux qui ont écrit en plein visage. Point de salut là-dedans, comme il n’y en a pas non plus dans la religion ; on donne l’impression d’être libre mais la liberté se mesure à la longueur de la chaîne.
Je préfère écrire sur le sable, aussi longtemps que le consent la racine épuisée du jour. Une grande lettre, espacée comme une rive, que tu liras après ma mort dans le paysage de ta tristesse. Sur une côte inconnue, sur la feuille du silence, un seul signe, signature, si tu veux : mon corps raidi comme une guitare oubliée. Un doigt révélé par la lumière de la lune sur le mur vaporeux de ton visage !
Tu n’auras que tes cheveux pour ensevelir ton secret.
J’aurais passé hier une heure et demi avec la petite nouvelle pour son entretien. A la fin du temps imparti, je boucle l’entrevue mais elle se révolte et me dit avec une petite moue « oh non, j’aime bien discuter avec vous ». Il aura fallu, pour une fois que je me montre ferme. Je ne sais pas vraiment dire non, mais il faudra que j’apprenne. Penser c’est dire non. Il paraît.
Peut-être que la seule ville qui pourrait me voir habiter en dehors de mon habitus, serait Tokyo, ville-monde dans laquelle on pourrait facilement tout perdre…
Départ dans huit jours.
Mercredi 12.02
Un jour la montagne s’est déplacée : Récits du silence, tel est le titre de ce livre qui arrive dans la sphère des livres météoriques et dont je vous dirai des nouvelles. M’est avis qu’on ne peut ressortir de là indemne.
Tous les matins, je me réveille avec dans la tête le chant du muezzin dont je connais à présent chacune des notes. Tous les matins j’entends ce petit homme qui court pour se rendre dans la tour sud de la Yeni Camii, la mosquée nouvelle de la Sultane Valide sur le parvis d’Eminonü, face à la Corne d’Or. J’en connais les moindres variations de voix tellement je l’ai entendu et tellement je l’ai écouté encore et encore. C’est à ce point qu’on mesure l’amour qu’on peut avoir pour une ville qui fait défaut à l’intérieur, dont on n’arrive pas à se repaître sous peine de la faire mourir et d’entraîner l’âme qui la fait vivre avec elle. Je crois que cette vision des choses est fondamentalement compliquée à partager.
Départ dans sept jours. Je n’ai rien préparé, je n’ai même pas encore de billet d’avion pour les vols internes. On verra bien non ?
Photo d’en-tête © Alexis Gravel