J’ai repris le chemin des archives. Depuis plusieurs mois, à la demande d’un commanditaire, je me suis plongé dans de nouvelles recherches consacrées à la biographie d’un personnage étrange et fascinant, écrivain, patron de presse et maître- chanteur.
Aucune recherche, quand elle est approfondie, ne laisse indifférent et la découverte d’un élément du puzzle qui permettra, une fois assemblé aux autres, de présenter finalement une certaine vérité, est toujours satisfaisante. On a cherché, on a trouvé, parfois par le plus grand des hasards, une information capitale et éclairante et l’on est satisfait au fond de soi-même. Pour le chercheur, c’est un jour « avec » compensant les nombreux autres « sans » où les heures filent sans apporter le moindre indice ou broutille d’information.
Aux archives, j’ai souvent vu des chercheurs satisfaits de leur journée, repartir d’un pas rapide vers leur domicile. Ils avaient « trouvé » contrairement à d’autres, laborieux, besogneux et qui, remuant des tonnes de papier, étaient quotidiennement déçus par la vacuité de leurs recherches.
Je me rappelle de monsieur L., charmant retraité tentant de reconstituer la vie d’un espion du premier Empire ! Mieux que quiconque, il était parvenu à un résultat satisfaisant, mais au prix de combien d’heures passées au sein des archives et des bibliothèques ! Il était patient, méticuleux et cherchait toujours et encore, un nom ou un lieu connus de son idole du moment . Il était lui-même convaincu qu’il tournait en rond et que sa quête était un peu vaine. Il a, depuis, rejoint le paradis des chercheurs…
Hier, aux Archives nationales, dans les bâtiments flambants neufs de Pierrefitte, j’ai connu un de ces moments magiques, de ceux qui me font passer patiemment des heures, penché à ma table de travail. Extrait de la série BB consacrée à la justice, j’ai pu consulter un épais dossier consacré à la demande en révision d’une condamnation de mon personnage pour outrage aux mœurs et extorsion de fonds, pas moins !
Et là, au moment où je m’y attendais le moins, le temps écoulé entre cette affaire, datant des années vingt, et notre époque, s’est effacé. Manipulant ces papiers, émanant du Parquet, des avocats ou de plus sombres fonctionnaires, j’ai rejoint l’homme en prison, mieux compris ses angoisses, presque échangé avec lui ! Parcourant les mémoires produits par la défense, lu les lettres du prisonnier, dactylographiées sur un luxueux papier vergé, j’ai tenté de comprendre les motifs de l’accusation. Etonnant et périlleux exercice pour quelqu’un qui n’a jamais fréquenté les tribunaux !
Qu’importe, cette étonnante moisson me permettra d’écrire un passage bien documenté de mon futur ouvrage. Mais partiel tout de même, car, pour ce travail d’un historien qui a la prétention de savoir lire entre les lignes, combien de paroles prononcées alors se sont envolées, de documents ont été volontairement détruits ?
L’honneur du métier d’historien est peut-être aussi de donner la parole à ceux qui nous ont précédé, qu’ils aient été fréquentables ou non…
Cette recherche est bien sombre, mais passionnante, et d’autres découvertes et recoupement, nombreux, restent à faire, d’autres indices à confirmer…
L’enquête continue et, j’en suis sûr, elle me réserve encore de beaux frissons…