Pour protester contre ce que les conservateurs nomment la « théorie du genre » qui serait, selon eux, en embuscade dans le dispositif ABCD de l’égalité destiné à lutter contre les stéréotypes de sexe à l’école primaire en promouvant l’éducation à l’égalité et au respect, un collectif nommé JRE (Journée de retrait de l'école) s'est installé dans le paysage médiatique. Il invite les parents d'élèves à retirer leurs enfants de l'école une journée par mois. La campagne s’est menée par SMS. Par une argumentation d’autorité, le collectif indique que les parents pourront justifier l’absence de leur enfant par le motif suivant : «journée de retrait de l'école pour l'interdiction de la théorie du genre dans tous les établissements scolaires ». Si la première tentative de retrait des enfants a été un relatif succès la seconde a eu un tout petit retentissement. Le retrait s’est rétracté.
Les dictionnaires sont formels. Un mouvement de retrait impose de revenir en arrière ou de quitter une position. Quand le gouvernement procède au retrait de dispositions qui ne satisfont pas les intérêts catégoriels ou d’un projet de loi, la presse parle de reculade. En choisissant de stigmatiser un dispositif qui fait de l’Ecole un espace éducatif à part entière, la mouvance extrémiste remet en cause toute forme d’éducation à la citoyenneté dans le cadre scolaire. Le modèle visé par la JRE est celui d’une école qui laisse aux idéologies religieuses la question de l’éducation. Les propos confus et délirants des promoteurs de la JRE mettent en pleine lumière des orientations politiques lourdement réactionnaires.
« Retrait » est un mot qui souligne l’écart entre ceux qui sont extraits de l’Ecole et ceux qui y sont maintenus. Il indique une soustraction, un moins. Les enfants retirés de l’Ecole à l’occasion de la première JRE ont été tenus à l’écart des acquisitions dispensées dans le cadre de l’Ecole républicaine. Le retrait d’une journée ne sert en rien l’éducation des enfants écartés des apprentissages didactiques et sociaux. L’absentéisme orchestré par les parents n’apporte aucun bénéfice aux enfants qui le subissent. Le mot a été choisi pour ces raisons. Il s’agit de signifier une volonté de se détacher, de se mettre en retrait d’une institution de moins en moins perçue comme légitime par les groupes extrémistes qui ont rodé leurs argumentaires lors des rassemblements homophobes de 2013. L'enfant est sorti de l'école sous l'impulsion d'une manipulation toute en violence. « Retrait » regarde furieusement vers le passé. Il suggère la passivité et l'autoritarisme. C’est pour cela qu’il plaît aux groupes rassemblés sous les lumignons des rumeurs nauséabondes. C'était mieux avant. C'est ce qu'il veut dire sans que l'on sache la date de cet avant.
Le monde de l’entreprise l’utilise avec prudence. Une marque qui constate que certains de ses produits peuvent présenter des risques pour la santé ou la sécurité des personnes, en raison d'un défaut de conception ou de fabrication, ou de la défaillance de certaines pièces les rappelle pour qu’ils cessent d’être mis en vente. Les associations de consommateurs relaient ces rappels. Cela donne alors lieu à une opération de communication. Les marques intègrent le dispositif de rappel à leur communication corporate qui vise à promouvoir l’image de l’entreprise vis à vis de ses clients et différents partenaires. Si rappeler aboutit à retirer, le sens perçu par le consommateur-destinataire du message n'est pas de même nature. Le retrait du produit est réalisé dans l'intérêt du consommateur. La démarche s'appuie sur un mouvement positif. Confronté à un danger pour sa vie ou sa santé, chaque salarié dispose d’un droit de retrait qui lui permet de cesser le travail. Ces deux usages du mot « retrait » sont reliés à la notion de danger ou de risque.
Les promoteurs de la Journée du retrait ont joué sur les peurs qu'ils ont eux-mêmes inventées. Face au danger de la supposée théorie du genre, le retrait des enfants de l'école est donné comme la condition de leur mise en sécurité. Face à ceux qui prônent le retrait vis-à-vis de l’égalité, l’Ecole ne peut accepter d’être en retrait des Lumières.